Il s’agit d’un seul en scène théâtral (joué par Baudouin, mis en scène par Pauline) autour de la figure d’Isabelle Eberhardt, aventurière mystique de la fin du 19ème siècle qui a parcouru l’Algérie à cheval, déguisée en cavalier arabe. Pour raconter Isabelle Eberhardt, et plus particulièrement l’errance d’une femme aux identités multiples tombée amoureuse du désert algérien, nous avons choisi d’écrire une fiction baignée de surréalisme, entre la quête initiatique et le faux polar, très librement inspiré de Vertigo d’Alfred Hitchcock. Il sera donc question d’un détective envoyé en filature à Alger pour suivre une jeune femme qui le mènera sur les traces d’Isabelle Eberhardt.
Saisis par la lecture des 2 000 pages qu’Isabelle Eberhardt a écrit avant de périr dans une inondation à Aïn Sefra à 27 ans, nous avons souhaité écrire un spectacle pour raconter cette figure de femme nomade, à cheval entre l'Orient et l'Occident.
Nous tenons énormément à ce projet, car il s’agit d’un hommage à une figure rare et admirable, peu connue du grand public en France.
L’histoire d’Isabelle Eberhardt nous touche et nous fascine d’autant plus qu’elle résonne d’une manière très particulière aujourd’hui.
A peine âgée de 20 ans, une jeune femme suisse de bonne famille quitte l’Europe pour sa terre d’élection, celle qu’elle nomme sa « patrie adoptive » : l’Algérie. Elle se convertit au soufisme et s’adonne à l’écriture. Désenchantée par le monde occidental, Isabelle Eberhardt vagabonde à cheval dans le Sahara algérien, dans un costume d’homme.
Une vie profondément anticonformiste et hautement romanesque, qui éclaire de manière singulière certaines problématiques actuelles.
Lorsque Pauline a découvert Isabelle Eberhardt, une petite fenêtre s’est ouverte à l’intérieur d’elle-même : celle de tous les possibles. Depuis, elle n’a cessé de lire ses écrits et de rêver à ce qu’aurait été la vie d’Eberhardt si elle avait survécu à la crue de 1904 ou si bien si elle avait été une enfant du 21ème siècle.
Il y a un mois, nous avons fait des lectures de divers auteurs pour les patients du service psychiatrie à hôpital Erasme, en région parisienne. Parmi les textes lus, il y avait l’Eloge du vagabondage d’Isabelle Eberhardt. A la fin de notre prestation, une très jeune femme au regard mélancolique est venue à nous : « Pardon de vous déranger, mais pourriez-vous me donner le nom de cette femme qui est partie seule dans le désert ? ». Nous avons senti qu’une petite fenêtre s’était ouverte chez elle aussi.
Nous nous sommes beaucoup interrogés sur la façon dont nous allions pouvoir faire résonner les mots d’Eberhardt sur un plateau de théâtre.
Comment la ressusciter sans la « muséifier » ? Comment raconter ce choc, cette révélation que fut pour nous la découverte de ses écrits ? Comment prendre en charge théâtralement cette langue très écrite ?
Progressivement s’est construit le désir de ressusciter la figure d’Isabelle Eberhardt par le biais d’une fiction rocambolesque et burlesque, et non sous un angle biographique.
Convoquer un imaginaire qui contrasterait avec l’imaginaire du voyage et de l’exotisme suggéré par l’écriture d’Eberhardt.
Catapulter cette figure historique et mythique dans un univers loufoque, à la limite de l’absurde.
Il s’agira d’une écriture de plateau. Nous partirons de Vertigo d’A. Hitchcock et des écrits d’Isabelle Eberhardt, à partir desquels l’acteur improvisera.
Le synopsis de Vertigo d’A. Hitchcock s’est présenté comme une évidence pour convoquer la figure d’Eberhardt de manière fantasmagorique.
Dans Vertigo, le détective privé John «Scottie» Ferguson est missionné par un ancien camarade d’école pour suivre son épouse Madeleine, suicidaire et possédée par l’âme de son ancêtre. Mais Scottie tombe amoureux de Madeleine, et c’est là que tout bascule. Nous partirons de ce même point de départ pour improviser : un détective privé est envoyé en Algérie pour suivre une jeune femme possédée par la présence d’Isabelle Eberhardt. Là commence le grand voyage.
Le spectacle devra ressembler à une grande rêverie, à une sorte de puzzle à reconstituer, à une énigme à élucider. L’écriture sera quasi cinématographique, construite à partir de notre périple en Algérie et de longues improvisations dirigées.
Nous travaillerons beaucoup sur le fantasme (sur toutes les projections qui peuvent être suscitées par l’Ailleurs et par une figure légendaire) et sur notre rapport aux morts (et plus particulièrement sur la façon dont un auteur mort peut partager notre quotidien).
Le thème de l'errance, et plus spécifiquement "le droit au vagabondage", si présent dans l'œuvre d'Eberhardt et très peu traité dans le paysage théâtral français, sera central dans notre spectacle. "Avoir un domicile, une famille, une propriété ou une fonction publique, des moyens d'existence définis, être enfin un rouage appréciable de la machine sociale, autant de choses qui semblent nécessaires, indispensables presque à l'immense majorité des hommes, même aux intellectuels, même à ceux qui se croient le plus affranchis." écrit-elle au début de « Ecrits sur le sable ». L’errance d’Eberhardt sera aussi celle de notre détective, en déroute permanente.
Isabelle Eberhardt voyageait seule, sous l’identité de Si Mahmoud Saadi. Elle écrivait au masculin. Le seul en scène nous a paru particulièrement intéressant pour raconter la trajectoire d’un personnage solitaire, en dialogue avec ses fantasmes, ses fantômes, et la galaxie de personnages rencontrés sur la route.
Le travail de direction d’acteur sera essentiel pour que le comédien puisse être un véritable caméléon théâtral, sans caricaturer les personnages portraitisés. Le plateau étant nu, nous allons engager un grand travail corporel de manière à ce que le comédien puisse faire exister les objets environnants et restituer différentes ambiances sonores et visuelles.
Par le(s) artiste(s)