Corentine Le Mestre

Un studio serre

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Entretien avec Corentine Le Mestre, en résidence à la Communauté de communes Sud Retz Atlantique où l'artiste considère l’image comme organisme vivant, à la fois organique et évolutive. L’idée est de rendre la photographie activée et vivante, qui puisse se reproduire (comme dans l’oeuvre de Walter Benjamin), le temps d’une résidence où publics et regards vont se confronter.


Corentine Le Mestre, photographe.

 

Qu’est-ce qui vous a incité à participer à Transat ?

J’apprécie particulièrement le format des résidences dans lequel je vois une possibilité d’expérimentation. J’ai pu récemment partir avec le MO.CO. dans trois contextes de Biennales internationales à Kochi en Inde, à Istanbul et à Venise. J’ai trouvé le défi de construire mon travail en fonction de ces lieux et des rencontres très stimulantes. Chaque situation de résidence ancre mon travail et me construit en tant qu’artiste par des interrogations partagées. L’année dernière, je travaillais pour la Résidence de Recherche Photographique à la galerie HASY, tout près de mes lieux de travail à Transat. J’apprécie le format de ces résidences, cette fois-ci locales et de proximité, qui m’amènent à m’interroger sur une photographie territorialisée. 

 

Comment intégrez vous la notion de transmission dans votre travail ?

La transmission peut prendre différentes formes mais j’en ai choisi deux particulièrement pour cette résidence ; aussi parce que je la fais en deux temps et dans deux lieux. Je commence par un premier temps de recherche dans une bibliothèque. Je constitue sur place une véritable table de recherche où j’accumule les reproductions de photographies issues de livres trouvés dans les rayonnages. Au vu et au su de tout le monde, je travaille à cette accumulation qui suscite des questions et je me prête aux discussions avec le public. Le deuxième temps, plutôt dans la réalisation-production prendra la forme d’un workshop où j’accompagnerai un groupe de jeunes travailleurs au réemploi de ces images au sein d’une recyclerie. Ce lieu a des matériaux, des possibilités de production et de mise en espace que je vais exploiter avec les jeunes travailleurs eux aussi au début de leur démarche et qui s’intéressent aux mêmes sujets que moi. J’aimerais que cette rencontre compte dans leur processus de création comme dans le mien. L’enrichissement mutuel de nos deux projets sera l’objet d’une exposition double de mon travail en cours et de leurs productions, sous la forme d’un atelier ouvert aux publics de la recyclerie. Ce va-et-vient entre les deux espaces et démarche me paraît propre à créer des connexions à l’intérieur de la communauté de communes et à jouer des porosités existantes. 

 

Quelle est la place du territoire et du public dans votre approche de la création ? Comment vos recherches se nourrissent-elles de ces expériences avec le public ?

Parce que j’accumule des résidences dans des contextes différents, ma pratique s’enrichit justement de la question du contexte, du lieu géographique comme ancrage de mes photographies. Je m’interroge aujourd’hui sur ce que serait une image nomade, au point d’en faire le sujet de ma prochaine résidence avec Casa Planas à Palma de Majorque. Est-ce qu’une image peut être globalisée ? À quel point une image peut-elle être ancrée dans un territoire ? Depuis des points de vue à chaque fois situés, je réfléchis à la délocalisation d’une photographie, à sa recontextualisation et donc à sa réception. Toutes les rencontres que je peux faire m’enrichissent. En résidence je suis médiatrice de mon travail en cours. J’aspire à des images en discussion. Je trouve important dès la construction d’une photographie de la confronter à différentes possibilités de lectures qui peuvent influer sur la direction du travail. Une image n’est jamais aboutie ou terminée et voir comment elle peut être rejouée dans d’autres contextes est très enrichissant. Lors des six mois de résidence Création en cours proposée par les Ateliers Médicis à laquelle j’ai pu participer, j’ai souvent débattu avec les élèves la question de la signature. Je partais avec une forme en tête, une idée de finalité très artistique et j’ai été bouleversé par les élèves qui proposaient sans cesse de nouveaux possibles, d’autres directions. À la fin, l’exposition de restitution présentait des œuvres communes. Les élèves de primaire avaient tenu leurs rôles jusqu’au bout et étaient co-constructeurs du projet.

 


Entretien avec Cécile Aupiais, chargée de mission pour la coordination du projet culturel de territoire

 

Que peut apporter selon vous la présence d’un artiste au sein de la Communauté de communes Sud Retz Atlantique ?

La présence d’une artiste sur un temps de trois semaines et demi permet de susciter un intérêt auprès de la culture et de la création artistique. Cela permet aussi de faire comprendre ce qu’est une résidence d’artistes. Cela crée aussi des partenariats qu’on n’aurait pas soupçonnés, comme le foyer de jeunes travailleurs (acteur de l’accessibilité à l’habitat à proximité de la bibliothèque). Les jeunes du foyer ont contacté Corentine pour se connecter, et se rencontrer. L’ADN de la présence artistique c’est que cela suscite entre l’artistique et un public, qui peut-être, a priori, ne se serait pas rencontré. La présence d’un artiste sous forme de résidence permet la rencontre avec les habitants en étant dans la simplicité. Cela permet également à l’artiste de se confronter à des points de vue différents, en milieu rural. Pour les arts visuels, ici, il n’y a pas beaucoup de pratiquants et de lieux de diffusion. Il y a peu de lieux d’expositions. Ça permet aussi de démontrer que le statut d’artiste et d’auteur est un statut à part entièr - pas seulement une pratique amateur. La Recyclerie est un lieu de vente et de producteurs qui nous immerge dans un autre contexte. Le propos artistique fait sens pour être accueilli là-bas, il y a une forme de créativité car on revalorise les objets. Le propos de Corentine est celui de l’image qui n’est pas fixe, toujours en mouvement. Ça fait sens qu’elle soit là-bas car il y a beaucoup de passage dans ce lieu.

 

Comment vos publics peuvent-il se saisir de sa présence et quelle est la place d’une approche artistique dans votre projet de territoire ? 

Le fait que l’artiste puisse être présente un certain nombre de semaines, sur deux lieux différents, c’est malgré tout assez court à chaque endroit. On a créé des ateliers pour aller à la rencontre, aller un peu plus loin, immerger les publics dans cette énergie-là. La rencontre peut être éphémère autant qu’elle peut amener une réelle discussion. Il y a la possibilité d’une prise de conscience de ce que c’est d’être artiste, comment on travaille, comment on développe un projet de création. Cela permet de désacraliser et démystifier la rencontre avec l’artiste, car on est tous égaux, hommes & femmes. Si on n’est pas force de proposition, il n’y a pas d’attente sur le fait qu’il y a une présence artistique sur le territoire. Les demandes peuvent émaner du fait qu’on soutienne les publics locaux dans le domaine de l’amateur. La particularité de la saison estivale, c’est la possibilité d’une belle opportunité pour le territoire, car en temps normal il y a beaucoup de médiation à mettre en place. Dans ce cas-là, il n’y a pas de public cible. Avec les publics l’objectif c’est l’accès à la culture, aux diversités des champs artistiques. Il y a une dynamique associative dans la commune de la Recyclerie, mais pas dans toutes les communes. Il fallait répondre assez rapidement au projet Transat, nous n’avions pas assez de temps pour réfléchir à l’implantation artistique qui s’inscrit aussi dans un moment de changement politique. C’est important pour nous dans le projet culturel de territoire qu’on soit impliqué dans le projet Transat. C’est important de saisir ce genre d’opportunités pour multiplier les expériences, avec un regard attentif sur le propos artistique et la diversité des propositions dans les champs culturels de la création. C’est un engagement professionnel de donner sa chance à une artiste d’expérimenter ce dispositif. C’est « gagnant-gagnant ». 

 

Quelle spécificité de l'échelle intercommunale vous semble-t-elle cruciale à appréhender de l’extérieur et que pourrait « révéler » un artiste ?

L’art peut prendre place dans n’importe quel endroit. C’est aussi la volonté de désacraliser le monde artistique et à la fois le processus de création, où les gens ont une image de l’artiste tourmenté tout seul dans son atelier. Montrer aussi qu’être artiste c’est être une petite entreprise (trouver un endroit, trouver les financements). Montrer le caractère professionnel de l’activité d’artiste. Par rapport aux deux lieux : il y a une fonction écologique et économique, et de l’autre un service public. C’est intéressant d’avoir deux facettes des deux lieux car on n'y rencontre pas les mêmes personnes. Il y a un intérêt que ça soit sur deux communes car on développe les projets à l’échelle intercommunale. Cela permet de redonner du positif pour l’artiste et ça apporte aux publics et aux habitants car c’est une conversation public / artiste / art / territoire.