Acte 2 - Eaux profondes

Acte 2 - Eaux profondes

Publié par Brice Ammar-khodja

Journal du projet

J’ouvre les yeux.

Ce matin, ma bouilloire m’a lâché sous autant de cruauté qu’elle n’aura pas survécu une semaine. Heureusement, force est de constater que dans mes plus grands déboires au sortir de la couche et une fois la fenêtre ouverte : Le Pic du Midi, mont Fuji pyrénéen, porte sur moi un regard attentif.
Ces derniers jours, nous avons beaucoup parlé d’eau. Le moment est donc propice à saluer un pan de son histoire et sinuer les fossés de ses propriétés.
Nous emmenons la classe au gouffre d’Esparros, superbe trésor de l’UNESCO découvert au début du 20e siècle. Ce lieu presque mystique existe sous nos pieds depuis plusieurs millions d’années. Il fut notamment engendré de l’érosion du calcaire par les eaux de la Neste et représente aujourd’hui un réseau de plusieurs kilomètres sous terre.
Il y a long à raconter sur cette expérience. Nous serons bref. Tout le monde est touché par le sentiment sublime que reflète le lieu. Tandis que nous marchons dans ce palais de roche, nous observons des mythes cristalins et entendons le « tic » des gouttelettes d’eau. De stalagmites en stalactites et de calcites en aragonites, le guide partage avec nous les recettes de la formation du gouffre mais également les dispositifs permettant son état de conservation. Entre émerveillement et savoir, j’ai le sentiment d’arriver à poursuivre mon objectif : art et science dansent ensemble. Silencieusement, Julien ne perd pas la main et prépare un questionnaire afin de mettre à l’épreuve la matière grise de nos jeunes apprentis.
Un concert de stalagmite(ctite) se prépare dans la salle principale. Lentement les lumières s’éteignent. D'entre les sons de l'écoulement, nous percevons la raisonnante histoire poétique du gouffre. Les roches semblent nous parler.
Nous sortons finalement. Comme il était interdit de dessiner et réaliser des clichés dans le gouffre nous n’avons pas une minute à perdre. Il faut dégainer les carnets de croquis et laisser les passions se déchainer. Je vois que les enfants ont déjà pris de bons réflexes en collectant documentation ou encore morceaux de roches calcaires pour les intégrer à leurs recherches. Certains s’arment de craies… un combat élémentaire semble se préparer.
En fin de semaine, je les accueillerais pour une nouvelle expérience.
Quelques jours plus tard, nous nous retrouvons à l’atelier. Les apprentis ont les yeux grands ouverts. Beaucoup d’objet intriguant. Des choses qui coulent, coupent, qui grippent, qui collent, des choses qui écoutent, qui enregistrent, qui transmettent, qui tachent, qui cassent, qui brillent et qui flottent… qui ? qui brillent et qui flottent ?En quelques sortes.
Mon aquarium et son projecteur attendent patiemment leur entrée en scène.
La cuve, simulacre de mon activité mentale attend de se manifester… Je ressens un léger stress car c’est la première fois que je vais présenter aux enfants une de mes pièces… qui plus est… une des plus importantes. On ne sait jamais a quoi s’attendre avec les enfants. Il faut rendre le moment propice à l’étonnement, la découverte.
Pour que tout le monde ait accès au phénomène, nous nous plaçons en cercle. C’est non sans une pensée amusée que j’observe une scène presque ridiculement sectaire : 21 individus assis autour d’un bocal d’eau… « silence », rien ne se passe.
Bientôt, j’éteins la lumière. Le projecteur fait son œuvre… démonstration (retrouver la pièce ici : https://b-ak.com/Une-goutte-des-mondes-1).Fin d’expérience… soulagement… cela a plus.
J’en profite pour aborder quelques notions sur la diffusion des spectres lumineux et la couleur.
Nous manquons de temps alors, je propose une activité : raconter une histoire par le dessin ou les mots sur ce que nous venons d’observer. Les carnets sont en joue… feu… et… non !La dernière fois, nous avions dessiné les yeux fermés. Cependant, je suspecte quelques entorses à la règle. Cette foi-ci, j’éteins la lumière. Les plus courageux dessineront avec leur main opposée. Aussi je propose à d’autres d’utiliser deux stylos dans la main au lieu d’un seul. 5 minutes au compteur. C’est parti.
Cette fois-ci, j’ai encore quelques réalisations qui se ressemblent, mais je ne me dégonfle pas… Julien et moi sommes bien déterminés à exorciser le mimétisme pictural de leur tête !Les vacances approchent et je ne veux pas perdre l’attention de la classe pour le projet. Quatre groupes sont formés, une mission est donnée. Pour la rentrée, il va falloir me surprendre. Chaque groupe devra se munir d’un minimum de quatre éléments réagissant de façon visuelle à l’eau ainsi que quatre éléments y réagissent de façon sonore.
Tapi dans l’ombre… l’hydrophone attend son intervention avec ferveur.
Nous quittons la pièce et comme toujours, la cuve demeure.