Eisenstein et le montage

Base des techniques et de la grammaire cinématographique

Publié par Lawrence Vaigot

Journal du projet

Après avoir présenté le projet et avoir travaillé sur le texte de Gulliver, nous proposons aux élèves de découvrir la base des techniques cinématographiques. Nous expérimentons ensemble puis faisons un point en analysant des scènes de La ligne Générale d'Eisenstein et des Oiseaux d'Hitchcock.

Avant de débuter l'écriture du découpage et du storyboard, nous avons souhaité initier les enfants aux bases des techniques du cinéma. Traveling, champ, hors champ, plongé, contre plongé, l'échelle de plans… tout ce vocabulaire et ces notions donnerons aux enfants des clefs de lecture, leur permettront de préparer le découpage et surtout de bien se faire comprendre lors du tournage.

Afin de les faire participer à ce cours théorique nous leur proposons de se filmer les uns les autres.

Nous essayons différents mouvements de caméra, le traveling avant, arrière, latéral, le panoramique horizontal, vertical. Nous cadrons de plusieurs manières, passant du plan d'ensemble au très gros plan réalisé avec une bonnette macro. Ce qui est sûr, c'est que tous ont envie d'apparaître à l'écran et tous souhaitent utiliser la caméra. C'est une bonne chose ! Pour l'instant ils voient encore mal à quoi sert tout ce vocabulaire, mais ça les amuse et ils sont pressés de voir le résultat.

Nous faisons également expérimenter les enfants sur la notion de profondeur de champ. Nous ouvrons puis fermons le diaphragme de l'objectif pour voir l'impact sur l'image. Les élèves font tourner la bague de mise au point pour voir tour à tour apparaître le premier plan net, puis l'arrière plan. Les élèves qui sont derrière la caméra s'amusent bien, mais les autres ne peuvent pas voir. Même si nous avons divisé la classe en deux il reste plus d'une dizaine d'enfants et cela peut être difficile de les faire participer tous. Après réflexion il aurait fallu prévoir une projection simultanée, cela aurait permis à tous les élèves de voir en direct la manipulation de leurs camarades. Dans notre cas ce sera seulement la semaine suivante que nous leur montrerons le résultats et que l'on discutera de l'impact de ces techniques sur le ressenti du spectateur.

Un dernier bout de test. Nous improvisons avec les élèves un mini sketch : deux enfants se disputent, l'un demande que l'autre lui rende sa gomme, le second dit qu'il ne l'a pas ; le premier insiste mais le deuxième ne démord pas. Un dialogue sans intérêt mais qui nous permet à la fois de voir l'impact de la plongée et de la contre-plongée, et aussi du champ contre-champ… Et oui, avec une seule caméra, en faisant différentes prises on arrive à recréer l'illusion d'un dialogue. Si certains élèves sont un peu timides, on ressent chez d'autres une aptitude au théâtre et un grand plaisir de jouer.

L'écrèmeuse, objet mystérieux pour les paysans kolkoziens
L'écrèmeuse, objet mystérieux pour les paysans kolkoziens

La semaine suivante vient le moment de montrer à tous ce qu'ils ont filmé. Ils sont tous ravi de se voir apparaître à l'écran ou de reconnaître leur prise de vue. Cependant lorsqu'il s'agit de discuter de l'impression visuelle des images, du sens d'un gros plan ou d'un plan d'ensemble, de l'intérêt d'une faible profondeur de champ ou de l'impact d'une contre-plongée sur le spectateur c'est beaucoup plus hésitant. Sans doute vouloir appréhender toutes ces notions en si peu de temps est trop ambitieux.

Nous proposons alors aux enfants de voir une application directe de ces techniques au cinéma. Nous commentons d'abord avec les élèves un extrait de « La ligne générale » d'Eisenstein, qu'est ce que ces visages nous disent ? Comment le réalisateur fait-il, sans paroles, seulement avec les images et leur rythme pour nous faire ressentir successivement le mépris, la curiosité, la déception puis la joie des paysans kolkhoziens devant une écrémeuse. Puis nous disséquons de la même manière une scène des « Oiseaux » d'Hitchcock. Les enfants sont happés par la tension de la scène. Il nous faut la regarder trois fois pour bien en comprendre les ficelles. Les enfants essayent de décrire la scène plan par plan en utilisant le vocabulaire nouvellement appris. Les notions et les mots se mélangent un peu, il faudra les réutiliser plusieurs fois.

Effet Koulechov
Effet Koulechov

Pour théoriser la scène d'Hitchcock nous montrons aux enfants trois fois successivement le visage en gros plan de Mosjoukine qui affiche un visage plutôt neutre, une première fois après le plan d'une assiette de soupe, la seconde après l'image d'une jeune fille dans un cercueil puis la troisième après une femme allongée dans un divan. La succession de ces plans mettant en exergue ce qu'on appelle « L'effet Koulechov » : Le spectateur en observant le visage de Mosjoukine (toujours la même image) lira en fonction de l'image qui la précède la faim, la tristesse ou encore la tendresse. Les enfants, eux, ne voient rien de tout ça, ils pensent que la soupe lui provoque le dégoût, qu'il se réjouit de voir la jeune fille morte (sans doute est-ce lui qui l'a tuée) et qu'il désir vivement assassiné la jeune femme allongé dans son canapé… Absolument l'inverse de ce que nous souhaitions montrer ! Mais qu'à cela ne tienne, l'expérience reste concluante c'est la succession de deux plans qui créé le sens.