Préparation de la chimie

De la chimie et du soleil

Publié par Lawrence Vaigot

Journal du projet
Préparation des chimie dans une ambiance de fin du monde.
Préparation des chimie dans une ambiance de fin du monde.

Le matériel est prêt, le scénario est écrit, nous allons enfin pouvoir tourner… Il nous a fallu plusieurs mois pour se préparer et rassembler la verrerie et les produits chimiques pour le développement de nos bobines 16mm. Une bonne dizaine d’ingrédients, pas toujours évidents à dénicher, sont nécessaires à notre petite cuisine. Plusieurs recettes sont disponibles, nous en suivrons une de Kodak, le C4. Il s’agit de réaliser différentes solutions qui à l’instar de la recette portent de jolis noms : D94A ; R9 ; CB2 ; D95 et F5. Un peu indigeste pour le profane, cette dénomination indique à la fois de quel type de solution il s’agit et sa composition. Bien que je fasse l’analogie avec la cuisine, il ne s’agit pas seulement de mélanger des ingrédients ensemble, mais bien de réaliser des réactions chimiques afin d’obtenir la solution souhaitée. Ainsi l’ordre, le fait de bien mélanger et d’attendre la fin de la réaction avant d’ajouter le produit suivant ont une importance. Par ailleurs certains de ces produits ne sont pas exempts de dangerosité et il faudra donc les manipuler avec précaution. Certaines émanations lors des réactions sont également toxiques et il est préférable de préparer les solutions sous hôte. Notre maison étant en aménagement permanent et relativement exiguë nous choisissons de préparer nos différentes solution dans une des granges attenantes. Il s’agit d’un endroit surprenant, voir surréaliste, où la nature reprend lentement son droit sur l’aménagement délabré des lieux.

Bien que le film argentique soit depuis longtemps en régression il existe toujours plusieurs associations en France qui préparent les chimies, développent et forment au développement. Ils s’agit de passionnés de la pellicule qui résiste à l’avènement du numérique et maintiennent une pratique de l’argentique. Nous aurions pu développer au laboratoire associatif de Mire à Nantes, comme nous avions déjà fait, mais cette fois nous essayons de tout faire nous même. Nous nous doutions que ça ne serait pas une mince affaire, mais nous avions pris certains points un peu à la légère… Enfin, nos solutions chimiques sont prêtes et nous allons pouvoir nous lancer dans le tournage.

Le tournage en argentique est une activité passionnante mais qui demande une certaine rigueur à laquelle nous avons parfois du mal à nous astreindre. Tout est plus long, tout est plus compliqué. Nous filmons avec une caméra Bolex des années 60 ne possédant aucun composant électronique ; que de la mécanique. Des ressorts, des engrenages qui font mouvoir la pellicule à raison de 12, 18, 24 ou même 64 images par seconde. Tout d’abord il faut charger la pellicule, rien que ce geste anodin est une expérience en soit. Tâtonner du bout des doigts un film qui glisse entre les rouages de l’appareil et que l’on vient coincer à l’aveugle dans une bobine vide. 

Préparation du tournage et image du film.
Préparation du tournage et image du film.

Nous préparons notre première scène : à Brobdingnag, un géant observe dans un microscope… Une pièce un peu sombre avec un mur en pierre fait office d’un décor semblant appartenir au passé. Dans notre film nous souhaitons nous perdre dans le temps, être à la fois avec Swift et Telemann et à la fois en 2020 dans notre quotidien. Bien évidemment l’idée est aussi de se perdre dans les tailles et les échelles. Le microscope est le symbole de ce relativisme des grandeurs. Nous aurions rêvé de filmer au microscope des amibes ou quelques êtres invisibles à l’œil humain. Malheureusement cette idée s’évanouit vite devant les contraintes et les difficultés d’un tel tournage. Qu’à cela ne tienne, nous nous contenterons de filmer Gulliver se faire submerger dans un verre d’eau ! L’occasion de réaliser un petit trucage que nous avions prévu de faire avec les enfants.

Court plan en animation
Court plan en animation

Nous filmons également un court passage en animation : le bateau de Gulliver avance sur une carte avant de s’échouer sur une île. En effet la Bolex nous permet de filmer en image par image, ce qui est bien pratique et très amusant. Amusant est le mot qui restera notre ligne directrice pour ce film et qui, selon nous, était aussi un des moteurs de Swift et de Telemann. C’est pourquoi nous privilégierons toujours la légèreté au risque même d’effleurer ou de tomber dans la facilité.

Nos chèvres comme acteurs principaux
Nos chèvres comme acteurs principaux

C’est également ce qui nous pousse à modifier nos projets concernant la scène des Houyhnhnms et des Yahoos. Nous avions imaginé un montage serré et débridé entre des plans de boxe et d’élégants chevaux déambulant gracieusement ou faisant la révérence. On avait pensé à « Combat de boxe » le film de l’avant-gardiste belge Charles Dekeukeleire. La Covid, la difficulté de ce mettre en relation avec un club de boxe, tout nous pousse à revoir nos plans et nous finirons par filmer nos chèvres. Ce ne sont pas des acteurs très dociles mais nous réussissons tant bien que mal à les faire tourner.

Nous construisons finalement une discussion voir une divagation plus abstraite, allusive et onirique autour de l’homme et de l’animal. Cela n’a pas la même portée que ce que nous avions imaginé, mais cela est plus personnel tout en étant plus incongru et insaisissable.

L'animal et l'homme ou l'homme est animal?
L'animal et l'homme ou l'homme est animal?