Clémentines et patate

3-De tissu, de clémentine et un ananas

Publié par Sarah Penanhoat

Journal du projet

Maintenant, les enfants connaissent la première partie, celle qui va prendre le plus de temps. Cette semaine va donc être consacrée à des exercices, des dessins préparatoires, pour qu'ils saisissent pleinement ce qu'on va faire.


 

Des lectures très attentives

Un quizz sur la terre

Pour ce deuxième jour, on embraye sur la technique et les propriétés de la céramique en elle-même. Qu’est ce que c’est, à quoi ça sert, depuis quand ça existe, à combien elle cuit, l’émail qu’on met dessus en deuxième cuisson, de quoi est-il composé, etc. ? Les choses à faire et à ne pas faire avec la terre. Car, l’argile a beau être une terre spéciale, c’est de la terre. Ils peuvent confondre argile avec verre ou inox, mais au moins, le terme en lui-même n’est pas spécialement inconnu.

Sans mise en scène

Avant la résidence, un ami qui travaille souvent avec des enfants me disait qu’il faisait des quizz avec ses groupes ; non seulement ça les stimule en les rendant concentrés, mais c’est aussi un bon moyen mnémotechnique. Travaillant de façon intuitive et en usant de principes de communication non-violente, je me dis que pour une introduction à une matière, dont ils n’ont jamais entendu parler, c’est un bon test, ce quizz. On sort définitivement de la salle de classe et l’on va travailler en demi-groupe dans le préau. Après y avoir installé trois des grandes tables à disposition, ça commence à devenir vraiment un atelier.

Toujours devant la bibliographie

Je tente deux manières de faire : au premier groupe je m’adresse à tout le monde ; au deuxième, je parle à chaque table en laissant les autres en autonomie avec des livres en rapport avec notre sujet : la bibliographie de Tomi Ungerer, un MOOC sur la nourriture, un imagier d’Emmanuelle Houdart... Ils n’ont pas le même âge ni le même bagage culturel que moi et d’autres enfants ont pu avoir, donc il me faut expliquer certains trucs qui semblent évidents, mais leur motivation est là. Et de devoir leur simplifier les choses qui me semblent évidentes me renvoie au fait que je peux les assimiler, sans même savoir comment les définir. Merci les gars !

Quand je les préviens que ça va être un quizz et qu’à la fin une des tables va gagner, ils sont hypers concentrés. Il faut taper la terre pour enlever des bulles d’air, on peut modeler en pinçant, en faisant des colombins, en travaillant à la plaque. Quelles températures de cuisson ? Il y en a deux : la première entre 980°C et 1020°et la deuxième - après avoir posé l’émail - entre 920° et 1020°. Ce qu’on va mettre sur le biscuit - et aussi, c’est quoi un biscuit ? La pièce après la première cuisson !

Pour le colorer, le peindre, ici, on utilise le terme d’émaillage : on met de l’émail. L’émail et sa composition : principalement du silice et des minéraux. On voit les termes techniques, puis je simplifie le trait pour qu’ils puissent visualiser : l'émail, c'est du verre, qui va en plus renforcer la couche supérieure de la céramique, et des pierres réduites en poudre qui vont donner de la couleur.

On a pu aborder plus de notions en un seul groupe mais c’était plus dur de faire garder à tous la même attention. En petit groupe, c’était très tranquille, mais je suis allée plus lentement puisque je répétais trois fois la même information. Peut-être que c’est rentré plus durablement.

Chaque table représentait une équipe et était définie par sa couleur, jaune, rouge, bleue. Évidemment, la table des bleus était très fière, et fait amusant, plusieurs filles et garçons me demandent d’être «chez les Bleeeus». Et pour rester dans le thème, les gagnants reçoivent une clémentine.

Une artiste pas tout à fait connue

Reflexions sur les enfants, et une biographie

À propos des enfants, je suis étonnée, et agréablement surprise de leur entente. Sans s’en rendre compte, ils ont un bon respect les uns pour les autres. Évidemment, cela n’exclut pas qu’ils se coupent la parole pour intervenir quand l’un parle déjà, mais il n’y a pas de rapport de force entre eux : ce n’est pas parce que c’est untel qui parle qu’on lui coupe la parole, c’est juste qu’ils sont quand même têtes en l’air. Et ensuite, ils sont un peu penauds quand on leur fait remarquer.

L’institutrice, Corinne, m’avait dit qu’ils pouvaient être turbulents mais que pendant tout le premier trimestre, elle avait travaillé à créer une ambiance de respect et d’entente. Et ça se voit. Comme dit plus haut, personne ne martyrise ou nediscrimine personne, filles et garçons sont en bonne entente et les groupes d’amis sont globalement mixtes.

De son coté, Corinne fait travailler le deuxième groupe sur ce qu’on a fait la veille en leur faisant rédiger des textes sur le projet, et sur ma vie. En cette après-midi, moi qui suis une artiste pas très connue, je me retrouve face à trente biographies anachroniques, personnelles, et tendres. Puis on discute de ce qu’on a fait le matin, on fait le point, et on croise nos connaissances entre groupe 1 et groupe 2.

Pour le jeudi, je leur demande un ou des fruits et légumes, tout en acceptant des conserves si besoin. On me dit dans l’oreillette qu’ils n’auront peut-être pas le droit de ramener quelque chose ; une autre me demande - ça, je ne m’y attendais pas ! - si du chocolat en poudre et du café soluble sont acceptés. Pourquoi pas, de toute manière, qu’ils ramènent la matière première, et on avisera jeudi.

Prendre des photos, et les mains dans le cambouis

Ce jeudi justement, Anne Etienne est venue. Il faut rendre à César ce qui lui appartient, c’est elle qui m’a conseillée de faire des mises en scènes avec ces aliments, pour les mettre dans le bain. Ainsi, ce jeu d’installation leur permet d'envisager en partie ce qu’on pourra avoir lorsque tout sera fini avec leur production en faïence. De plus, comprendre les termes de banquetmise en scènecomposition, et jouer avec les textures des fruits, des couleurs et des tissus.

On a en effet différents voilages, cotonnades, velours, et dans notre atelier, certains murs sont oranges, d’autres turquoises. Ici, je leur montre qu’on peut choisir deux ambiances, on peut se servir du décor existant et jongler avec. Les élèves ont donc chacun apporté un aliment : petite patate, tamarin, grappe de raisin, du café et du chocolat dans deux petits pots similaires de confiture vides.

On a changé toute la disposition, deux tables contre le mur, d’autres au milieu pour le tissu et où on dispose les victuailles sur un plan de travail et les six groupes formés viennent se servir pour former leur composition. Sur ces six groupes, pas un seul élève ne met de côté - un ananas - qui a du succès en étant sur chaque photo. Lors de la deuxième session, je finis par le déclarer persona non grata et il est interdit de l’utiliser. Un peu déçus, ils acceptent quand même de jouer le jeu.

Lorenzo et sa récolte

La fête à l'Ananas

Deuxième session d'installation

Douceur et pastels

Cette situation me permet de voir aussi pourquoi les adultes prenaient des décisions ennuyeuses quand nous étions enfants. Globalement, ils travaillent bien ensemble, et s’écoutent pour prendre des décisions en petits groupes ; c’est quand le groupe s’agrandit qu’ils n’arrivent pas à faire des choix ; cette fois-ci, je vois certains se mettre en avant, d’autres attendre.

Ils tentent donc plusieurs installations et les prennent en photo. Je leur montre comment choisir son cadre, cadrer, baisser la luminosité... De retour en classe, où cette fois-ci, on travaille en groupe entier, je sélectionne quelques images, et je retourne au premier jour, quand je leur demande de me dessiner de la nourriture. Ils doivent reproduire ce qu’ils voient, mais ont le choix de tout faire, ou d’isoler un détail et de le mettre en exergue. Comme ils sont davantage dirigés, on dirait que ça les aide puisque ici, c’est l’observation de leur création ; conclusion, j’ai moins de réclamations.

Formes et traits
Des détails
Quand le fond importe autant que la forme
On se prend pour Ellen Degeneres et on dirait que ça le fait

Le dernier jour, où j’ai prévu de leur faire toucher la terre, il y a une grève et les élèves du CE2 sont dispatchés entre les différents niveaux de l'école. J’ai trois bonhommes en rab qui débarquent, avec leurs petits tabliers qui traînent jusqu’aux pieds. Ils sont incroyablement calmes et attentifs, et ça me permet de les intégrer en partie au projet. J'espère qu'ils transmettront un peu leur matinée au reste de la classe.

Dans ce préau, qui devient notre atelier sur ces temps-là, la disposition des tables a encore changé. On est une unique tablée où, après la théorie du mardi, nous voyons comment monter un bol, souder la terre, fabriquer sa barbotine, faire des boudins, lisser la terre, faire des détails. Ils observent le matériel - estèques, ébauchoirs, le fil à couper, qui lui aussi remporte un franc succès - et à quel point la terre peut-être fraîche, collante, humide, puis sèche, craquante, comment les mains deviennent poudreuses à force de malaxer. Les enfants et la terre réagissent en symbiose, et, après quelques tâtonnements et des exclamations de surprise devant cette texture inédite, ils réfléchissent à comment créer eux-mêmes leurs formes.