Du vert s'ouvre en verts

Du vert s'ouvre en verts

Publié par Juliette Mézenc

Journal du projet

... alors que j'herborise...

Rubrique "J'ai rencontré"

 

 

J'ai rencontré une fleur au sortir de l'hiver, elle était dissimulée par la lande de bruyères où elle nichait. J'allais m'asseoir et on s'est retrouvées nez à nez. On ne s'est pas dit grand chose mais je l'ai trouvée belle. C'était un fleur charnue, à tige courte, elle se maintenait tout près de la terre. J'ai longuement contemplé le duvet roux qui recouvrait des pétales d'un mauve très doux, très délicat, à l'extérieur, pétales qui devenaient blancs à l'intérieur et qui hébergeaient un foisonnement d'étamines, d'un jaune d'or qui éclatait dans la lande sèche et brune. Je me demande comment elle m'a perçue, de son côté. Ce qu'elle a saisi de moi. Mon odeur ? Le gaz carbonique que j'émettais alors que j'étais penchée sur elle ? Et encore ?

 

Elle ne m'a pas dit son nom. J'ai ensuite vu qu'elle n'était pas si seule, d'autres fleurs de la même espèce poussaient discrètement ça et là et je suis sortie du champ sur la pointe des pieds, ce qui n'est pas si facile avec de grosses chaussures de montagne. Et j'ai maudit la nature de m'avoir fait de si grands pieds.

Au retour, quelqu'un m'a donné son nom : anémone pulsatille.

Alors que je continue à faire des rencontres et alimenter cette rubrique de l'almanach, je repense à ce passage de mon récit en cours, "Des espèces de dissolution" :

 Il n'est pas beau à voir et ne s'en soucie pas, il n'y pense pas ou presque pas. Il pense à se trouver des dépressions dans le terrain, des nids dans les genêts à balais, des abris sous les bosquets entre les rochers, il lui faut dormir, encore, en boule, le corps entre ses bras. Quand il ne dort pas il est à croupetons, il met le nez dans l'herbe et des herbes émergent du vert indistinct, qu'on pourrait croire uni, de loin, c'est à dire : à hauteur d'humain. Ainsi accroupi des herbes lui apparaissent, se différencient, fines ou charnues, lisses ou striées ou dentelées, lancéolées, duveteuses parfois. Le vert s'ouvre en verts, verts très lumineux, verts amande, verts sombres, verts d'eau, verts très verts, le vert s'ouvre en verts et des fleurs s'y font jour, se multiplient, se diversifient, beaucoup sont minuscules et d'une subtilité sans nom, les graminées elles aussi n'en finissent pas de pointer leurs têtes obstinées et délicates et qui varient, tant et plus, et depuis si longtemps que les dinosaures en mangeaient déjà au crétacé. Le champ n'avait été qu'un point sur la carte, un champ à son usage, un champ où disparaître, un point et sa fonction, voici ce qu'avait été le champ, et c'était comme entrer dans ce point et en découvrir l'immensité

il lui avait fallu être affamé pour voir

il se parle tout en mangeant, parce qu'il s'est mis à brouter, tout, sans distinction, mais avec une attention croissante pour ce qu'il ingère et pour ce qu'il rumine de pensées vivantes sur la vie vivante

 

Alors que je continue à faire des rencontres et alimenter cette rubrique de l'almanach, je repense à ce passage de mon récit en cours, "Des espèces de dissolution" :