Extraits 5 et 6

Extraits 5 et 6

Publié par Jonathan Daviau et Alexandre Kato

Journal du projet

Extraits n°5 et 6 du premier chapitre.

[…] Quelqu’un entra dans la montagne par la grotte et inventa l’abri qui protège, les rochers sur lesquels s’assoir et les rochers sur lesquels poser la viande. Des ses enfants, certains voulurent déplacer l’abri jusqu’à la rivière et inventèrent, grâce aux matériaux disponibles, l’architecture. Pour reproduire les reliefs utiles de la roche, ils inventèrent les meubles. Des enfants qui restèrent dans la montagne, certains passèrent devant les maisons en allant puiser l’eau et découvrirent les portes, les fenêtres, les tables et les placards. Inspirés, ils aménagèrent leurs cavernes en maisons troglodytiques. Leurs enfants à eux, ne trouvant encore disponibles que de légers creux rocheux sous lesquels on ne s’abrite qu’en s’écrasant contre la paroi en espérant que le vent ne tourne pas, s’approprièrent les techniques architecturales pour composer les maisons semi-troglodytiques. Des tunnels secrets, à l’origine, courraient au fond des cavernes, d’un versant à l’autre de la montagne, qui permettaient aux jeunes amoureux de se faufiler hors de leurs chambres, de tâtonner discrètement dans le noir entre les stalagmites pendant une heure ou deux pour rejoindre l’immense lac souterrain et se distraire sur un relief adapté en bénéficiant d’une acoustique indescriptible. […]

[…] Cette fois-ci, elle était en avance. Elle était assise sous le préau du lavoir, le regard absorbé par la surface sombre de l'eau. Je ne l'ai pas vu tout de suite.

Elle a commencé rapidement à m'expliquer la situation. Elle a parlé pendant plus d'une heure et je ne l'ai interrompu que ponctuellement, lorsqu'un détail échappait à ma compréhension. Au début, elle tremblait. J'ai d'abord pensé que c'était à cause du froid, car de fortes rafales de vent pénétraient les mailles les plus étroites de mes vêtements, mais je crois maintenant, au débit délirant de ces paroles, qu'elle avait du boire quelques cafés de trop. Pendant son long discours, la nuit est tombée sur la commune. Au début, seules la cime des montagnes avoisinantes était illuminée des derniers rayons du soleil. Orange brulant par dessus ombre bleue. Puis l'ombre a recouvert les sommets, et petit à petit, s'est aussi emparée du ciel. Alors les lampadaires se sont allumés, gouttes jaunâtres au milieu d'un bleu nuit absolu. Je ne voyais plus son visage. Il avait été englouti, lui aussi, dans l'ombre de la terre. Son flot de paroles ininterrompu, écho du bruit continu de l'eau s'écoulant du lavoir, m'indiquait qu'elle était toujours là, à côté de moi. Et elle s'est arrêtée. Ses dernières paroles n'ont rien conclu. Elle s'est seulement arrêtée comme s'arrête un auteur d'écrire un roman parce qu'il vient de mourir. […]