Genèse #2

Genèse #2

Publié par Alexandra Lucchesi-Frébault

Journal du projet

Accroches & Résonances

Longtemps à l'heure d'écrire, je me suis tenue loin des livres et de mes auteurs fétiches. Je redoutais à ce point d'être happée par la force, le mouvement et l'architecture souterraine de ces langues singulières que je préférais m'en priver. En vérité, j'avais peur du pastiche. Et mes peurs étaient fondées puisque j'ai bataillé un long moment avant de me défaire de la foulée claudélienne qui se répandait sur mes pages maladroites. Je pressentais qu'il fallait conquérir mes propres espaces littéraires, dessiner les plans du labyrinthe, apprivoiser chaque signe, et chaque son, pour jouer avec les musicalités et trouver un rythme - cette rencontre fondamentale entre le temps et le souffle – qui m'appartienne.

A présent que je crois avoir façonné mon empreinte personnelle, j'ai plaisir à m'entourer d'écrivains et de poètes aimés, et lus et relus. Je n'ai plus peur d'être engloutie par la beauté et le fracas sensé des mots puisque je comprends mieux les mécaniques de ces mondes de papier ; puisque je suis passée de l'autre côté du rideau et qu'à mon tour, je suis devenue – à mon humble niveau, qu'on ne s'y trompe pas- une arpenteuse de pensées, une tricoteuse de lucarne et d'horizon.

Chaque projet d'écriture résonne avec des textes que j'ai parcouru et qui ont participé à l'élaboration de la vivante en devenir que je suis et Le Roi Gros n'y fait pas exception. Travailler autour des notions de corps et chair multipliée m'a raccordé à la truculence réjouissante de Rabelais, à la sensualité lumineuse de Giono, au lyrisme organique de Calaferte – sublime Septentrion - et à l'insolence savoureuse de Jarry et de son Ubu Roi.

Un tel sujet demande aussi de la précision et quelques connaissances structurantes ; voilà pourquoi je parcours avec fascination Les métamorphoses du gras, de Vigarello et Traiter l'obésité et le surpoids des professeurs Apfeldorfer, Zermati et Waysfeld. J'ai également sollicité des entretiens auprès d'endocrinologues et me suis rapprochée d'associations locales dédiées au soutien et à l'accompagnement de personnes atteintes d'obésité.

Avant d'écrire les premières lignes du Roi Gros, il est nécessaire que mon esprit glane le plus d'informations et d'éléments de compréhension possibles. Le grand agencement de cette matière diffuse et entremêlée se fera plus tard, au moment où je m'appesantirai sur l'ossature de la pièce. Pour l'heure, et comme mon roi de théâtre, j'absorbe, et toute chose qui me traverse est nourriture.