Habiter l'utopie

Publié par Vincent Marcq

Journal du projet
Arts numériques Arts visuels Photographie Sculpture, Arts plastiques, Vidéo, Architecture, Maquette

Première intervention à l'école élémentaire de Freneuse dans les Yvelines.

Freneuse

Le premier jour de résidence à la rencontre des élèves.

Je me présente. Nous discutons du métier d'artiste, qu'est-ce que c'est ? Des élèves répondent "quelqu'un qui peint", quelqu'un qui exprime ses sentiments". Je montre alors des toiles de la Renaissance (Titien, Brueghel) et volontairement, par un saut temporel audacieux, parvient à Marcel Duchamp et sa "Fontaine". Des rires à la découverte de cet urinoir ready-made exposé en 1917 au premier salon de la Société des indépendants de New York. J'expose les différences entre la peinture de la Renaissance et l'art contemporain ; l'ouverture des possibilités artistiques, l'intention de l'artiste dans son oeuvre, son sens parfois caché ou ironique. Marcel Duchamp met nos méninges en ébullition. Il est temps de s'interroger sur "qu'est-ce que la photographie ?". À cette question, chaque élève a une opinion. Tous et toutes savent ce qu'est une image, une photographie. Quand je leur demande si toutes les photographies représentent le "réel", les réponses sont unanimes : "oui !"

Je leur parle alors le "complexe du burger" en confrontant l'image publicitaire d'un hamburger du célèbre fast-food américain et l'image de ce même hamburger dans notre assiette. De nouveau, des rires. Mais le message est clair, limpide. Les remarques fusent : "il manque de la salade", "les steaks sont tout petits". Les enfants reconsidèrent leur réponse initiale. Je profite de l'occasion pour réinterroger avec eux le sens des images qui nous entourent, celles qui "trafiquent le réel" à des fins marketing. Je montre ensuite le travail de l'artiste d'origine catalane, Joan Fontcuberta. L'unanimité règne en classe, la leçon est comprise : ses photographies n'existent pas ! Idem à la découverte des photographies de l'artiste d'origine belge, Filip Dujardin. Madame Séverine, l'enseignante, interroge alors les enfants "mais comment vous pouvez en être sur ?". Silence. J'expose alors aux enfants les concepts de vrai/faux dans la photographie en abordant les techniques du montage et du cadrage. En définitive, la photographie est vraie et fausse à la fois.

En lien avec ces références, je présente mes derniers projets en cours "The Miracle Of Almuhlt" et "Outside". Je leur demande si les photos prises sont vraies ou fausses. Mitigés, les enfants ne savent plus quoi répondre. J'explique le propos de ces projets, et pourquoi certaines images sont retouchées, d'autres non. Je parviens alors à la présentation de mon projet de résidence sur les maisons de William J. Levitt (1907-1994) construites dans les années 1960 à Mesnil-Saint-Denis. J'explique aux enfants mon intérêt pour ces quartiers et les prémisses de mes recherches. Intrigés, les enfants me disent : "si les maisons sont toutes pareilles, comment ils font pour reconnaître où ils habitent ?"

Par la conversation, les bases sont posées. Je prolonge les échanges en présentant le projet que nous allons mener ensemble. Enthousiasme général sur l'idée de construire, la ville de demain !

Intense réflexion !

Lors de l'atelier suivant, je leur propose de dessiner leur habitat idéal puis de le présenter en petit groupe. Par cet exercice, il s'agit d'inciter les enfants à penser différemment la construction et l'agencement d'un habitat. Les propositions sont toutes différentes. Toutefois des éléments communs se dégagent : fenêtres, coins, carrés, portes, etc. De la maison la plus classique à la plus informe, leurs propositions permettent d'ouvrir la discussion.

J'évoque avec eux le projet Kate Ericson et Mel Ziegler qui consiste à intervenir sur les maisons de banlieues résidentielles américaines avec l'objectif de brouiller leurs codes d'identification et de fonctionnement et, ce faisant, de déconstruire les paramètres de l'aménagement urbain, d'un point de vue culturel et social. Leur oeuvre Picture out of doors est significative de cette démarche : Kate Ericson et Mel Ziegler, invités à exposer au Santa Barbara Contemporary Arts Forum (Californie), ont retiré toutes les portes de plusieurs maisons, les ont ordonné dos-à-dos dans les salons puis ont immortalisé ce geste performatif par l'image photographique. Les spectateurs étaient invités à visiter ces maisons ouvertes de toutes parts où les habitants continuaient de vaquer à leurs occupations.

Les enfants imaginent leur propre maison sans porte ni fenêtre. Nous nous quittons sur cette réflexion d'un commun et des limites entre l'espace privé / public.