Les fameux champs colorés

Janvier

Publié par Nelly Monnier

Journal du projet

En intérieur

On peut pas dire qu'il ait fait beau cette semaine. Il fallait même courir pour traverser la cour et rejoindre l'ancienne salle de classe que monsieur le Maire nous a laissé transformer en atelier de peinture, le temps de la résidence.

On est appliqué, à neuf-dix ans. On écrit en attaché et on commence en haut à gauche de la page, même sans les lignes. Le premier jour, chaque élève a fabriqué et customisé son cahier de résidence personnel. Sur la première de couv, y en a qui sont plutôt géométries symétriques alors que d'autres empilent des cœurs, font des drapeaux, découpent leur nom aux ciseaux. De mon côté, j'ouvre un journal de bord ici.

Tout le monde a reconnu les chevaux dans les Kandinsky, par contre Albers et Frankenthaler sont moins faciles à interpréter. On découvre le cercle chromatique. On parle de représentation, de teintes, de valeur et de saturation en parcourant le XXe siècle. La dernière peinture projetée en classe, elle est de Fabio Viscogliosi, le parrain de notre projet. Comme elle n'a pas de titre, ils s'empressent de lui en trouver un parce que sinon, c'est trop bizarre, on note quoi dans notre cahier ? Plus tard, quand on aura défriché le terrain et qu'on saura ce qui nous intéresse avec la couleur, on pourra lui commander une œuvre et l'accrocher dans l'école.

A l'atelier, avec ce qu'on a appris, chacun se fait un petit stock de feuilles de papier peintes à la gouache. Un nuancier de couleurs saturées, claires, sombres, en mélangeant à sa guise. A partir des croquis trop rapides et qui ressemblent à rien qu'on a dessinés la veille en regardant les grottes, des nénuphars, des roches erratiques et des champs de colza, on prend de l'altitude. En vue aérienne au dessus de la Beauce, on voit des parcelles de couleurs vives qui n'ont pas d'angles droits et qui s'écrasent comme des sandwichs quand on lève le nez vers l'horizon.

De mon côté, je récupère les feuilles tartinées de couleurs que m'ont laissées certains enfants, comme on en a fait trop, ça me fait une belle collection pour de prochains projets.

 

En extérieur

Dehors, la campagne beauceronne est toujours aussi plate (même que ça n'a pas l'air d'enchanter les enfants). Je me dis qu'il faudrait vraiment acheter un altimètre, histoire de savourer les variations discrètes de ce sol. Monter sur un tas de fumier, un muret, un silo. Le jackpot de la semaine, c'est celui d'Illiers-Combray, du haut duquel on voit la cathédrale de Chartres, les logements ouvriers d'une usine métallurgique aujourd'hui disparue, et peut-être le toit de la maison de tante Léonie - la Léonie de Marcel Proust. Comme les antennes téléphoniques s'installent désormais en haut des stocks de grain, on regarde si on capte encore plus que d'habitude.

Le village du Loiret et d'Eure-et-Loir, comme son paysage, est minimal. Je voudrais faire des résumés d'ambiance beauceronne à partir de détails. Des compositions d'objets locaux qui, dans leur agencement, deviennent quasi métaphysiques. Des kits de banalité en plaine. Pour quelqu'un qui vient d'une colline entre Lyon et Genève, tout ça n'a rien de péjoratif.

En extérieur
En extérieur