Où l'on voit que tous les états de la matière ont été connus et éprouvés
Les œufs furent cassés par chacun, pour en récupérer la cloche de bronze qui jadis fut de cire puis de vide puis liquide puis solide. Elle ne tardera pas à devenir aérienne après s'être déchargée de ses quelques poussières brutes qui obstruaient sa brillance solaire et lunaire tout à la fois, car c'est d'un airain chantant que sont faites les cloches de Colombiers qui acquière leur sonorité par une teneur élevée en Étain.
L'heure donc vint de la sublimation, où les cloches sont passé directement de l'état solide à l'état gazeux, passant de l'état de sculpture à l'état de musique.
On exposa nos œuvres lors de la fête de l'école, entre deux chansons, nous fîmes une improvisation. D'abord on fit sonner une à une les cloches, puis on les fit dialoguer jusqu'à les faire tintamarrer, tintinabuller ensemble, pianissimo, forte, lentement, rapidement, puis en impacts, en masses denses.
Lors de notre aventure, il y eût deux actes de créations collectives. D'abord celle de la construction du four de cuisson, puis celle du concert.
Ne restait plus que la dernière étape, solitaire et nocturne, celle d'installer les cloches dans l'école pour en faire une sonnerie qui tintera les temps du début et de la fin des cours, du matin et de l'après-midi en résonnant dans tout le village de Colombiers comme une empreinte pérenne et singulière.
Voilà que suspendues, une classe, une aventure, est immortalisée en place publique pour plusieurs centaines d'années. Et quand la Petite École de Village passera, tombera, aura sombré, se sera enfouie ; conquérants, hommes d'armes, « intelligences supérieures », chercheurs, extra-terrestres découvriront les quatorze cloches, entières ou en morceaux, comme on trouverait une ammonite dans son jardin. Ils s'imagineront rien qu'un instant, dans un éclair de poésie, comme toujours le font les enfants, le monde qui put les faire venir au monde.
