Recherches graphiques monotypes -Tout finira par brûler-

Les nuits à Savières

Publié par Léna Martinez

En Janvier dernier j’ai commencé le développement d’un court-métrage d’animation, Tout finira par brûler,  que je co-écrit avec Juliette Laboria, elle aussi réalisatrice. Ce court-métrage mettra en scène la fugue nocturne de deux amies, Alix et Sam, à la recherche du point d’observation idéal pour contempler une comète qui passera toute près de la Terre. En chemin, elles imaginent le pire avec une certaine excitation. Et si la comète parvenait jusqu’à elles ? Dans ce film nous aimerions mettre en scène la relation qu’entretiennent nos deux jeunes héroïnes, Alix et Sam à travers une fin du monde fantasmée qui nourrit leur amitié. Le décor de cette histoire est une campagne désertée sous les feux d’une apocalypse.

Ma résidence soutenue par les Ateliers Médicis sert de laboratoire d’exploration tant narrative que plastique à ce projet. Au cours de ces premiers mois je me focalise en particulier sur les effets de la nuit sur notre regard et la transcription cinématographique des illusions et paréidolies que nous pouvons expérimenter dans l’obscurité. Ces recherches débutent par mon intervention dans la classe de CM1-CM2 de l’école de Savières en janvier 2021. Le travail que je mène auprès des élèves me permet de renouer avec la manière dont les enfants construisent une histoire. Ensemble nous réaliseront un film d’animation pour qu’iels découvrent les étapes de fabrication d’un court-métrage : scénario, scénarimage, animation, enregistrement, etc.

À mon arrivée, les questions fusent : « comment on va faire un film ? » « On pourra donner nos voix aux personnages ? » « ça va être quoi l’histoire ? »

Afin que les enfants se projettent plus facilement dans cette réalisation, je distille quelques indices comme le cadre spatio-temporel du film qu’iels réaliseront : l’école, la nuit. Ensemble nous nous sommes demandés quels récits pourraient émerger de la nuit, lorsque l’école est vide. Ce thème me permet de proposer aux enfants un sujet parallèle à mon projet de film en cours de développement. À travers cette proposition, j’entends encourager les enfants à s’approprier et subvertir les codes et usages qu’iels ont de leur lieu d’apprentissage. L’idée a été accueillie avec enthousiasme et un grand nombre de créatures fantastiques ou monstrueuses se sont invitées dans la salle de classe.

Nos recherches ont débuté avec une documentation du lieu. Les enfants ont photographié, listé et commenté les espaces et recoins de leur école. Comme il nous est impossible de rester une nuit à l’école, il nous a fallu reconstituer ce moment en intervenant graphiquement sur les photographies qu’iels ont pris. C’est à l’occasion de ce détournement de leur travail photographique que les enfants on pu esquisser les premières silhouettes de noctambules et les ciels étoilés qui viennent se fondre dans le paysage scolaire.

En parallèle de ces recherches plastiques qui nous permettent d’ébaucher une iconographie commune de la nuit nous travaillons à un remue-meninges, une liste de mots et d’images pour mieux cerner les contours de ce moment. Constellation. Lune. Chat noir. Eclipse. Extraterrestres. Hiboux. Rêves. Obscurité. Illusions. Peur. Météorite. Sommeil. Lampadaire. Fantôme. Magie. Sombre. Etoiles. Pour commencer à tirer des récits de ces recherches, nous réfléchissons au fond de l’histoire que les enfants souhaitent raconter en fabriquant des scénarimages.

Nous entamons la rédaction d’une histoire collective. Toute une journée est consacré à sa rédaction qui se fait tantôt en classe entière tantôt en petit groupe de travail. Le consensus est difficile à trouver, certains aimeraient faire un film d’horreur, un film qui fait peur, d’autres préfèreraient un film drôle peuplé de monstres à inventer. C’est une journée dense ou les enfants se consultent, discutent, et votent pour créer une histoire cohérente.

Lors de mes premières interventions à l’école, nous avons pris le temps de regarder beaucoup de courts-métrages. Les cinémas étant fermés, la salle de classe se transforme une fois par mois en salle de projection. Ces séances cinéma sont l’occasion de leur présenter différentes techniques d’animation et plusieurs genres de film. C’est un moment très apprécié des enfants car iels peuvent se glisser dans un rôle de critique et affirmer leur goût pour tel ou tel film. En parallèle de leurs regards de spectateur.trices qui s’aiguisent nous avons retracé l’histoire des premières images animées. À travers des objets pré-cinématographique comme le thaumatrope et le phénakistiscope, nous explorons le phénomène optique de la persistance rétinienne nous permettant de percevoir du mouvement dans une suite d’images. La réalisation de ces objets permet à chaque enfant de créer sa première animation.

Ce retour au phénomène de base de l’animation m’offre plusieurs pistes de recherches pour l’animation de Tout finira par brûler. Mes déplacements dans les environs du village de Savières me servent aussi à accumuler les images d’une campagne plane et trop vide dans laquelle prendront place les deux personnages du court-métrage.

détournement des espaces de l'école