Mon coeur d'antan

Mon coeur d'antan

Publié par Adil Laboudi

Journal du projet

Grâce aux élèves de Bracieux, je découvre que je suis Lorenzaccio. Oui, vous lisez bien : je suis ce garçon qui a troqué son cœur d’enfant contre un serment qu’il s’est fait à lui-même. Moi, je n’ai pas cherché à tuer le roi mais à « venger » mes origines sociales et raciales en étant meilleur que les autres. Pour ce faire, j’ai adopté les mêmes habits que la majorité et je me suis fondu dans la masse au point d’en devenir transparent. Mais surtout : j’ai un temps abandonné mes rêves d’enfant... (voir extrait en fin d’article).

Amour, musique et danse

C’est une période passionnante que je traverse. J’étais parti sur le thème de l’identité, me voilà qui voyage à travers l’enfance, mes rêves d’autrefois et mes amours. Décidément, les élèves de CM1/CM2 m’apprennent beaucoup. Ils m’obligent à m’organiser (ce que deux ans de prépa et cinq ans d’école n’avaient réussi à faire), à revenir à des principes plus simples et naïfs, mais aussi à revenir à des préoccupations premières telles que l’amour, la musique et la danse.

Nous avons organisé une matinée « la scène est à vous » où chaque enfant pouvait me présenter ce qu’il voulait. La règle : « faites comme si vous étiez dans votre chambre et que personne ne vous regardait ». Nous avons eu le droit à des formidables cadeaux : des numéros de danse solo ou en groupe mais aussi des chansons. Nous avons ri, nous avons pleuré, nous avons été étonnés de découvrir les plus timides de la classe. Ce fut un grand moment d’émotions pour tout le monde. Beaucoup de chansons d’amour aussi alors nous avons lu le conte de la « petite sirène » d’Andersen et chacun a dû répondre sur papier à cette question « jusqu’où je serais prêt à aller par amour ? ». Je vous mets en image certaines réponses.

Ce qui m’a beaucoup touché, c’est la place que l’amour occupe dans leurs vies. J’avais presque oublié le tourment que c’est à cet âge-là. Les filles détestent les garçons qui détestent les filles, mais les filles sont toutes amoureuses d’un garçon qui parfois joue avec plusieurs filles. L’une me raconte que personne ne l’aimait parce qu’elle était trop pipelette, une autre voudrait jouer au foot pour se rapprocher de son bien-aimé mais a peur de passer pour un garçon manqué tandis qu’un autre serait prêt à tout – réellement à tout – pour être enfin amoureux. Forcément, toute cette agitation m’amène à moi, petit, amoureux d’Elise du CP au CM2. Pour elle j’ai volé des bijoux de ma mère. J’ai aussi beaucoup chanté et dansé dans ma chambre. J’ai cassé les oreilles de toute ma famille avec Mariah Carey. C’est sans doute là que mon goût pour l’art trouve son origine, jusqu’à ce que je décide d’être le meilleur dans les études et d'honorer ma famille…

Shooting

 Pendant que je me débattais avec les énergies des uns, Marie Hudelot faisait un shooting dans les jardins de l’école. Elle a évidemment amélioré l’aspect physique des personnages que j’avais crées. Par groupe de quatre, les enfants l’assistaient aux lumières, à la prise d’image ou devenaient mannequins. Ce fut long et fastidieux pour certains, mais en général, tous étaient ravis de voir comment cela pouvait se passer sur un plateau de shooting - même improvisé. Je vous joins une des photos qui a été faite. Pour le reste, il faudra patienter. Comme disait Shakespeare : enjoy. « Ma jeunesse a été pure comme l’or. J’avais le cœur et les mains tranquilles. Les hommes ne m’avaient fait ni bien ni mal ; mais j’étais bon, et, pour mon malheur éternel, j’ai voulu être grand. Une certaine nuit que j’étais assis dans les ruines du Colisée antique, je ne sais pourquoi, je me levai ; je tendis vers le ciel mes bras trempés de rosée, et je jurai qu’un des tyrans de ma patrie mourrait de ma main. J’étais un étudiant paisible, je ne m’occupais alors que des arts et des sciences, et il m’est impossible de dire comment cet étrange serment s’est fait en moi. Peut-être est-ce là ce qu’on éprouve quand on devient amoureux. (…) La tâche que je m’imposais était rude avec Alexandre. Florence était noyée de vin et de sang. L’empereur et le pape avaient fait un duc d’un garçon boucher. Pour plaire à mon cousin, il fallait arriver à lui porté par les larmes des familles ; pour devenir son ami, et acquérir sa confiance, il fallait baiser sur ses lèvres épaisses tous les restes de ses orgies. J’étais pur comme un lis, et cependant je n’ai pas reculé devant cette tâche. Je me suis fait à mon métier. Le vice a été pour moi un vêtement ; maintenant il est collé à ma peau. (…) Tu me demandes pourquoi je tue Alexandre ? Veux-tu donc que je m’empoisonne, ou que je saute dans l’Arno ? Veux-tu donc que je sois un spectre, et qu’en frappant sur ce squelette, il n’en sorte aucun son ? Si je suis l’ombre de moi-même, veux-tu donc que je m’arrache le seul fil qui rattache aujourd’hui mon cœur à quelques fibres de mon cœur d’autrefois ? Songes-tu que ce meurtre, c’est tout ce qui me reste de ma vertu ? Songes-tu que je glisse depuis deux ans sur un mur taillé à pic, et que ce meurtre est le seul brin d’herbe où j’aie pu cramponner mes ongles ? » Extraits de Lorenzaccio, Musset