Mouche et rime

Mouche et rime

Publié par Tania Tchenio

Journal du projet

Mouche et rime

- J’ai fait ma phrase : « Au chêne, j’ai rencontré le silence. » Ça s’écrit comment, chêne ?
- Chêne, comme l’arbre ?
- Non, Chêne comme le pays.
- Chêne ?
- Oui.
- Le chêne c’est un arbre, je crois.
- Non, c’est un état, c’est vers le nord.
Un camarade s’insère dans la conversation.
- Tu veux dire la Chine ?
- Non, le chêne. Le pays Chêne.
- Ça s’écrit c-h-e-n-e. Avec un chapeau sur le e, là.

*

Nous lisons Jean-Pierre Siméon. Nous nous attardons sur une idée : la rime ne fait pas le poème.
- Est-ce que vous savez tous ce qu’est une rime ?
- Oui, c’est quand on fait pareil.
- C’est quand on fait le même mot.
- C’est quand par exemple on dit un mot, et ensuite on dit un autre mot qui se termine avec le même son.
- Oui.
- Comme rime et riz.
- Non...
- Comme rimer et rime.
- Non...
- J’ai rimé, dans un riz.
- Essayez d’en trouver une, de rime.
- Mouche et... rime.
- Non...
- Mouche et bouche.
- Voilà.
- Moi j’ai cru que ça rimait avec douche.
- Ça peut, aussi.
- Mouche et rouge ?

*

Dans le livre Aïe, un poète ! nous lisons :
« Bref, si vous vous dites : ‘‘C’est bien ma langue, mais je ne l’ai jamais vue dans cet état’’, probable que vous êtes en face d’un poème. »
L. s’inquiète, car il entend langue comme langue, et état comme état.
- Vous savez tous ce que c’est, la langue ?
- Oui.
- Il y a la langue dans la bouche, et la langue française.
- C’est bizarre parce qu’on a l’impression que ça s’écrit pareil, langue et langue.
- Ça s’écrit pareil, tout à fait.
- Alors comment on peut comprendre ?
- Ça dépend du contexte de la phrase.
- Mais la langue française, on la parle avec sa langue.
Silence interloqué.
- Moi j’ai eu un petit peu peur quand tu as dit que si on ne croyait pas en notre langue, ce n’était pas de la poésie.

Je réfléchis.
Ai-je dit ça ?
J’aurais aimé.

*

Une goutte de sang sur le doigt d’A.
Evènement de 8h43.
Brouhaha.
- Tu t’es coupée avec une feuille de papier ?
- Non, avec un couteau.
- Ça ne fait pas mal.
- Si ça fait mal.
Pendant que la maîtresse va chercher un pansement, on se presse pour regarder et donner un avis.
- Tu sais, ceux qui ont le bras coupé, on leur remplace par un bras de fer.
- Non, pas en fer.
- Si.
- Non, pas en fer, c’est trop lourd.
(Approbations.)
- C’est trop lourd.
- Il arracherait tout si c’était en fer.
- Ils mettent une fausse main, mais une fausse main légère.
La maîtresse réapparaît. Elle enroule le doigt dans un petit pansement couleur chair.

*

Le silence obligé, c’est quand je serai mort.

Thème(s)
Inventer la langue