Un troll cyclope

Où on doit changer nos plans

Publié par Théophile Dubus - Cie Feu un rat !

Alors donc, c’était un temps de crise, avec un virus à couronne et à peu près la moitié des gens plongés dans une situation qu’on a eu tôt fait d’appeler LE GRAND CONFINEMENT. Et, forcément, en ce qui concerne ma Création en cours, comme pour l’ensemble des participantes et participants au programme, ça a modifié des choses. C’est donc de ça que je vais parler maintenant.

Tout de suite, avec Catherine, on s’est téléphonés. On s’est dit qu’on verrait combien de temps ça allait durer, que c’était dommage, parce que les jours où j’étais censé venir en mars n’allait pas pouvoir avoir lieu mais qu’on pourrait les remplacer par d’autres en avril, par exemple ?

Ces jours en mars, ils auraient dû être consacrés à un moment que j’attendais beaucoup, qui était la première lecture de leurs textes par les élèves et la découverte de leurs rôles. Bon, il y a plus grave, comme déception, dans la vie. J’ai envoyé le texte par e-mail, en demandant aux élèves d’apprendre leurs textes pour qu’ils soient sus quand on se retrouverait. Un mail, pour moi, c’est quand même moins intéressant qu’une lecture, mais c’est déjà ça.

Ensuite, il s’est avéré que le GRAND CONFINEMENT allait durer un peu plus longtemps que prévu. Alors, avec Catherine, on a eu l’idée d’organiser des vidéoconférences, pour que je vois la classe, en petits groupes de quatre ou cinq, histoire simplement de se dire bonjour, discuter, s’assurer que les textes étaient bien reçus et réfléchir ensemble aux meilleures manières d’apprendre un rôle. Une vidéoconférence, pour moi, c’est quand même moins exaltant qu’une séance de répétitions, mais c’est quand même mieux que rien.

Et puis il s’est avéré que le GRAND CONFINEMENT allait vraiment durer deux mois. Là, on a commencé à se demander si on allait pouvoir réussir à tout faire. A un moment, quand on a appris que les rassemblements resteraient interdits pendant encore un moment, il a fallu acter la triste nouvelle de ne pas faire la lecture de ma pièce à l’école fin mai, avec Daniel, Olga, Quentin et Mathilde. Et aussi, que les élèves ne pourraient pas jouer leur spectacle comme prévu devant un public. Comme d’habitude, dans ces moments-là, c’est bien de se dire que, bon, c’est la vie, c’est dommage et que tout pourrait être bien pire. Mais je crois que c’est bien aussi d’accepter que ça rend triste.

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Quentin Bardou, Bon Fé (ici, dans "Nuits" un spectacle de Daniel Larrieu) © Benjamin Favrat

Et comme j’étais triste, j’en ai parlé à Quentin. Quentin qui joue le rôle du Bon Fé dans ma pièce, et qui partage pas mal de caractéristiques avec ce personnage, a alors eu une idée.

Pourquoi tu ne ferais pas une version radiophonique du spectacle des élèves ?

D’abord, j’ai dit :

N’importe quoi, c’est beaucoup trop de travail, je ne vais pas pouvoir diriger les interprètes à distance, et puis ce n’est pas écrit pour être entendu mais pour être vu !

Alors Quentin a dit :  comme tu veux. Et puis après, j’ai réfléchi. Et puis j’ai suggéré l’idée à Catherine, et elle a trouvé qu’elle était super, et puis j’ai encore réfléchi et puis j’ai fini par dire à Quentin :

Tu as raison, ton idée est SUPER.

Alors j’ai écrit aux parents :

Chers parents des élèves de CM2 de l'école de Charmont-sous-Barbuise,

Lors de ma dernière venue en février, vos enfants ont fourni un beau travail d'imagination et d'écriture, en inventant de courtes pièces. Je me sens très chanceux d'avoir ce lien privilégié avec leurs idées et leurs créativités, et j'aime beaucoup ces histoires, toutes plus étranges les unes que les autres.

Le planning étant très incertain, je ne sais malheureusement pas quand et comment nous allons pouvoir reprendre le travail. Je trouverais très dommage de laisser les choses s'éteindre, après un si beau début. Aussi, j'ai proposé à Madame Renault l'idée de réaliser une pièce radiophonique. C'est une manière de continuer à créer quelque chose ensemble et, malgré le confinement, de conserver un lien. C'est également un gros travail, qui va demander votre implication et votre aide, si vous le pouvez et le voulez bien.

Pour cette pièce, j'aurais besoin que chacun et chacune des élèves enregistre l'ensemble de ses répliques, avec un téléphone ou un ordinateur.

Il faut veiller à ce que les élèves enregistrent dans une pièce entièrement silencieuse, articulent bien, parlent assez fort et laissent une pause avant et après chaque réplique.

S'il y a une erreur dans la lecture, une langue qui fourche ou autre, on laisse une petite pause et on reprend la réplique au début.

Dans la mesure du possible et si (et seulement si) vous y trouvez votre plaisir, n'hésitez pas à diriger vos enfants, en les aidant à jouer leurs répliques. Vous pouvez par exemple poser les questions suivantes : "que ressent le personnage quand il dit ça ?", "qu'est-ce qu'il essaie d'obtenir ?", "qu'est-ce que le personnage pense de la personne à qui il parle ? Est-ce qu'il l'aime, la déteste, est énervé, séduit, amusé, laissé indifférent par elle ?"

Il me restera à monter ces enregistrements ensemble et nous aurons une pièce radiophonique créée à distance !

(…)

Encore une fois, j'ai conscience que c'est un vrai travail que je vous demande, à vous comme à vos enfants, et sachez bien que je vous remercie d'avance de votre implication.

Bien cordialement,

Théophile Dubus

Je passe sur les détails, mais j’ai reçu les fichiers, et puis j’ai également demandé à Quentin, Mathilde, Olga, Daniel et également à Esmé et à Jeanne d’enregistrer des voix, et puis j’ai monté les pièces et je les ai envoyées aux élèves et à leurs familles.

Et vous, vous pouvez les écouter ici :

 

Moi, je les adore, je les trouve bizarres, drôles, tristes, effrayantes, elles m’inspirent et m’émeuvent. J’aime leur côté brut, presque brouillon. Je suis content de pouvoir les faire entendre à mon entourage, et je n’ai que des très bons retours. Et puis j’ai l’impression que ça parle bien de notre manière de réagir à ce GRAND CONFINEMENT, ces histoires de familles monstrueuses et bricolées, dans lesquelles des enfants, des adultes, des monstres et des non-monstres essaient d’être ensemble.

Depuis quelques jours, on en sait plus sur la réouverture des écoles. Avec Catherine, on laisse passer encore une ou deux semaines pour voir si je pourrai revenir une dernière fois travailler à l’école, par exemple début juin. Si ça peut se faire, ce sera évidemment dans des conditions particulières, mais je crois que c’est important. Ce que j’imagine, c’est que, en fonction du nombre d’élèves, on pourrait faire un travail d’une ou deux journées, pendant lesquelles elles et ils enregistreraient des scènes de ma pièce, pour les envoyer à Quentin, Olga, Mathilde et Daniel.

Mais ça, je le raconterai une prochaine fois. A bientôt ?