Découverte du Golden Record

Ouverture d'écoutilles et éclosions ingénues

Publié par Maëva Ferreira Da Costa

Journal du projet

Équipage Héliotrope - sous-division de l’équipage du vaisseau spatial Terre, section recherche scientifico-plastique

Rapport mensuel de mission : EH-S1GLU/101401

 

Mon arrivée au bureau de recherche se déroule comme prévu. Je rencontre d’abord Nicole enseignante de l’équipage. Avant d’œuvrer à l’éducation des jeunes terriens, elle a longuement travaillé aux projets de la section préhistoricologie. Cet esprit, propre à la non-spécialisation1, nous sera grandement utile pour ce projet de recherche qui nécessite une visualisation globale du monde.

Je me présente ensuite aux autres membres affectés. Les oreilles attentives et regards étincelants de curiosité me font penser que l’équipage attendait impatiemment de se mettre au travail. Ensemble nous allons penser un manuel d’instructions du vaisseau Terre pour le léguer à des civilisations encore inconnues. Je distribue à tous leur carnet de bord. Vous recevrez leurs rapports et résultats de recherches en fin de mission.

 

Expérimentation 1

Choisir un message à transmettre à des civilisations futures ou extraterrestres

Sans les influencer, je laisse les enfants proposer leurs messages. Ils s’accordent tous sur une notion importante à communiquer, celle de danger. Les idées de la classe entière sonnent comme un avertissement. Un appel à la vigilance ou un appel à l’aide ?

La pandémie qui a assailli tout notre vaisseau planétaire ces dernières années n’a pas laissé indemnes les plus jeunes de l’équipage. Cette situation semble avoir altéré leurs imaginaires. Dans un premier temps, ils ne s’autorisent donc pas à s’évader vers les étoiles, mais manifestent toute la détresse que leur fait traverser cette crise. Ils souhaitent prévenir leurs destinataires du péril terrestre qui les attend, leur intimant le devoir de porter un masque ou de se désinfecter les mains. Se projetant loin dans le temps, ils s’imaginent que le corps humain aurait muté, que nos bras se seraient allongés pour que l’on puisse se saluer de très loin en raison de distanciations sociales et de gestes barrières toujours plus sévères.

  • Voici le cadeau d’un petit monde éloigné. Nous essayons de survivre à notre temps de sorte que nous puissions vivre dans le votre.” - message gravé sur une capsule temporelle, exposition universelle de New York, 1939

Plus que spationautes en herbe, je les sens déjà collapsonautes, déjà désespérés par ce qu’ils comprennent d’un effondrement en cours, mais pas défaitistes. Au contraire, ils s’enthousiasment de pouvoir être auteurs de changements et concepteurs de solutions.

L’expérience s’est révélée être plutôt cathartique. Je ne les ai plus entendu parler de virus après cela.

Expérimentation 2

Penser nos symboles pour un nouveau Golden Record

Comment laisser un message qui restera compréhensible dans le temps et l’espace ?

Pour penser le nôtre, nous prenons exemple sur le projet Voyager Golden Record. En 1977, la NASA fixe un disque d’or sur la sonde spatiale Voyager. Comme une bouteille à la mer intersidérale destinée à d’éventuelles vies extraterrestres, ce disque comprend, sous forme d'images et de sons, de nombreuses informations sur notre vaisseau. Des schémas explicatifs indiquant le mode d’emploi du Golden Record sont gravés sur son couvercle.

L’équipage héliotrope, désireux de découvrir les trésors cachés dans les sillons du vinyle, s’essaye à un décryptage. Très rapidement, et malgré tous ses efforts, il échoue.  Dans ces idéogrammes énigmatiques, se lisent la cosmolocalisation du vaisseau Terre ainsi que la vitesse de rotation de lecture du disque qui se calcule avec une formule incluant la période de transition hyperfine de l’hydrogène, c’est à dire 0,70×10-9 secondes. Tout cela nous échappe complètement. Ce message, laissé par une poignée de membres de la section astronomie, semble obscur pour la plupart des autres terrestres. Comment pourrait-il donc l’être pour des civilisations non-humaines ne partageant rien de nos langages et de nos concepts ? À cet instant, nous prenons tous conscience qu’un langage peut difficilement être universel et, de ce fait, que la mission dont nous sommes chargés ne sera pas si simple.

De l’or pour les oreilles - la première écoute du Golden Record étonne autant que passionne les enfants. Ils vibrent avec les chants bulgares, se remuent sur des flûtes de pan de Papouasie, cherchent à deviner d’où sont originaires les sons et de quels instruments ils proviennent. Nous faisons tous un voyage sonore, un tour complet de la Terre depuis notre bureau de recherche. Mes coéquipiers me font par ailleurs remarquer que, quelle que soit la nationalité du son écouté, il nous est possible de déterminer certaines choses basiques à l’égard du sujet convoqué. Nous discernons la tristesse dans les voix tremblantes étrangères, nous devinons la joie ou la colère derrière des cohues de percussions déchaînées.

Le son nous semble donc être une piste intéressante pour la conception du manuel. Afin d’obtenir un message le plus universel possible, nous choisissons de traduire, avec diverses techniques, tout ce qui a été posé sur papier précédemment. Pour commencer je propose aux petits spationautes de passer de leurs écrits vers des choses plus sommaires et dessinées. En se basant sur les schémas étudiés plus tôt puis sur une banque d’images (contenant des photographies de panneaux de signalisations, de hiéroglyphes, de pictogrammes etc), les enfants créent de nouveaux symboles. Ils cherchent à garder l’essentiel de leurs idées simplifiées en quelques tracés.

En joignant les symboles de toute l’équipe, nous obtenons l’équivalant d’un nouveau Golden Record.

Expérimentation 3

Exercice de synesthésie et fiction auditive

Nous décidons, cette fois-ci, de nous concentrer sur des expériences sonores.  J’explique à l’équipage ce qu’est le phénomène neurologique de la synesthésie. Si celui-ci n’est pas contrôlable par les personnes qui en sont porteuses, nous tentons, nous, des traductions synesthésiques volontaires. Une personne atteinte de synesthésie est capable de ressentir différentes sensations pour un stimulus qui ne touche habituellement qu’un seul sens. Par exemple, un son peut être associé à une couleur, un mot à une odeur. Le système de traduction que nous utilisons est graphème-sonore.

Précédemment, les enfants exprimaient ce qu’ils ressentaient à l’écoute de certains sons. Aujourd’hui, permutation pratique, ils produisent leurs propres sons correspondant à des concepts abstraits. Ils s’organisent en trois groupes auxquels je distribue cinq mots à transmettre. Afin que ces idées soient audibles de la façon la plus universelle possible, ils ne sont pas autoriser à parler, à prononcer des mots dans des langues qu’ils connaissent. Ils peuvent cependant utiliser des bruits de bouches, de mains, d’objets autour d’eux dans la salle.

L’enquête est, encore une fois, fructueuse. Les groupes de recherche se font deviner mutuellement leur liste de mots et parviennent à se faire comprendre sans aucun problème. Les enfants se rendent compte qu’ils possèdent ce super pouvoir de charge émotionnelle qu’impliquent les perceptions synesthésiques.

Le lien invisible qui nous lie entre résidents terrestres exerce un force incroyable sur le groupe. Je remarque que, sans se passer le mot, car encore imprégnés des consignes de l’expérience sonore, tous les membres de l’équipage se mettent à dessiner. Alors naturellement, les enfants retirent leur casquette de bruiteurs synesthètes pour devenir architectes et se mettre à esquisser les plans de leur vaisseau Terre idéal.

En feuilletant leur carnet de bord je découvre des mystères métaphysiques, des éclats de génies, des éclosions ingénues. La mission alimente leur réalité de questions et d’envies. De çà et là, les informations se butinent. Je sens que les esprits turbinent. Même masqués, ça se lit sur leur trombine.

Les petits héliotropes se mettent à anticiper leur rencontre du troisième type. Nous enregistrons donc les premières fictions audios. Elles nous serviront à chapitrer le manuel lors d’une prochaine séance de travail.

 

1 - Selon Richard Buckminster Fuller, “toutes les civilisations et toutes les espèces disparaissent pour la même raison : la spécialisation.” Pour prendre soin de notre vaisseau nous devons être des “penseurs généralistes”. (plus d’informations dans les prochains articles)