4 fils

quatre frères et un cheval

Publié par Anouk Lejczyk

Journal du projet

Lecture d'un extrait d'une chanson de geste locale, celle des Quatre Fils Aymon, dont les 5 roches qui s'élèvent au dessus de Bogny-sur-Meuse porteraient, parait-il, l'empreinte (5, car il y aussi la tête de Bayard, le cheval-fée capable de s'étirer pour porter les 4 frères)

On y retrouve le rite initiatique de la transformation du chevalier en homme sauvage dans la forêt, avant de rentrer dans le droit chemin civilisé :  un grand classique de l'itinéraire des héros médiévaux. Yvain, dans la matière de Bretagne, en est autre exemple, avec la majestueuse scène d'errance sylvestre racontée par Chrétien de Troyes, considérée comme la première scène de folie dans l'histoire de la littérature en langue française vernaculaire.

" Tandis qu'Aymon quittait la cour, plein de rancoeur, Renaud et ses frères franchissaient le défilé et s'enfonçaient dans la forêt d'Ardenne avec leurs hommes. C'est le dénuement le plus complet qui les y attend, car il n'est pas un seul château, un seul bourg, un seul hameau, une seule citadelle où ils osent pénétrer. Ils n'ont pas d'autre nourriture que le produit de leur chasse, ni d'autre boisson que l'eau des sources et des ruisseaux. La viande crue des chevreuils dont ils réussissent à s'emparer et l'eau les rendent malades. Le vent et le mauvais temps aussi leur font la guerre. Que pourrais-je ajouter ? Peu à peu tous succombent. Il ne reste que les quatre frères, mais très mal en point, avec trois de leurs compagnons, Rénier, Gui et Fouque le barbu, tous trois résolus et endurants. A eux sept, ils n'ont que quatre chevaux, pas un de plus, si grande est leur misère. Et en fait de fourrage, ni avoine ni foin séché au soleil, seulement des feuilles et des racines. Bien contents de trouver de la fougère. A ce régime, les chevaux maigrissent, à l'exception de Bayard qui demeure gros, gras et dispos : les feuilles lui profitent plus que le grain aux autres ! 

(...)

Les quatre frères vont à cheval et les trois autres à pied, portant les arcs. Et, quand ils doivent franchir une rivière ou un passage difficile, ils montent tous sur les chevaux déjà épuisés, mais Bayard à lui seul en porte quatre quand il le faut. Ils n'ont pas même construit de cabanes dans le bois, mais se contentent de s'abriter sous des hêtres ou des chênes. Leurs vêtements sont réduits en guenilles. A force de porter leurs cottes de maille à même la peau, ils sont devenus plus noirs que de l'encre et plus velus que des ours. Le cuir qui attachait leurs beaux étriers d'or a cédé et les freins de leurs selles pourrissent aux intempéries. Avec de l'osier qu'ils trouvent en abondance, ils fabriquent des liens dont ils se servent comme étrivières et comme sangles pour les chevaux. Tant que cela dure, ils s'estiment heureux ; et, grâce aux arcs, le gibier ne manque pas. Mais une fois les cordes pourries, c'est la disette. Et l'hiver les met à si rude épreuve qu'ils songent à tuer leurs chevaux pour les manger. Il n'est personne au monde qui, à les voir, ne serait pris de pitié. Dès qu'ils sortent de la forêt, il se trouve quelqu'un pour les apercevoir et les prendre en chasse. Charles a fait proclamer partout qu'on doit, si on peut mettre la main sur eux, les faire prisonnier et les lui remettre, et que c'est la pendaison qui les attend. Voilà pourquoi les fils Aymon restent dans la forêt d'Ardenne, alors même qu'ils n'ont plus rien à se mettre. Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il grêle, chacun s'abrite sous un arbre, bouclier suspendu au cou, casque rouillé en tête, épieu au côté. leurs chevaux ont perdu leurs fers, leur harnachement est en pièces. Avec quelle ardeur, ils souhaitent le retour de la belle saison ! "

Les Quatre Fils Aymon ou Renaud de Montauband
(traduction de Micheline de Combarieu du Grès et Jean Subrenat)
Folio Gallimard, 1983

 

[crédit image : http://www.lecerclemedieval.be/legendes/Les-quatre-fils-Aymon/Les-quatre-fils-Aymon-table-des-chapitres.html]