Réflexions sur les sens - L’essence du projet

Réflexions sur les sens - L’essence du projet

Publié par Maëlle Reymond

Journal du projet

Les intuitions se relient. Après 5 semaines de recherches sur les 7 prévues dans le cadre de Création en cours, il arrive ce moment, où la question du sens devient centrale, où les différents éléments entrent en résonance et offrent une direction.

Cette réflexion sur l’essence de cette création se fait tant du point de vue de la signification que du point de vue des sensations.

Après avoir parcouru l’ensemble de mes notes, souvent prises à la volée, que je ne relis (relie ?) que des semaines après, je commence à sentir la toile de possibilités qui se dégage de cette notion d’insaisissable. Sans que ce soit encore parfaitement formulé, je vous livre ici des bribes de pensées qui convergent les unes vers les autres.

A propos de Haïkus, je relève ce passage écrit dans l’intro du livre de Jack Kerouac : « montrer les choses directement, concrètement, sans abstractions, ni explications : la vraie chanson mélancolique de l’homme ».

Cette définition du Haïku me touche. Je repense à Carlotta Ikeda, cette danseuse Butô, dont on disait qu’elle avait tout du chat. Elle n’en avait pas la forme évidemment, elle n’imitait pas le chat, elle ne s’en inspirait pas de manière mimétique. Elle avait littéralement capté, intégré l’essence du félin, pour plonger dans son être entier, dans sa corporalité. Je crois que, n’étant ni japonaise, ni poète, mon travail actuel ne consiste pas à imiter la forme, la versification du haïku, ni à tenter le rapprochement de culture, qui risque d’être très superficiel. Je crois que mon travail consiste plutôt à plonger dans le principe. Et cette définition est très clairement le point de contact entre la raison d’être du haïku et ce que je cherche dans ma danse.

Aujourd’hui, je ne vois pas ce qu’il y a de plus personnel, et en même temps de plus commun, que le fonctionnement d’un corps : ses saisons, ses errances, ses besoins, ses désirs, ses peurs, ses moteurs et ses limites. Donner à voir la palpitation des chairs et ce qui anime profondément un être, c’est à mon sens, la vraie chanson mélancolique de l’homme.

Si le haïku condense l’essentiel d’un ressenti en quelques vers, je cherche, grâce au pouvoir de l’évocation, à traverser toute une vie, en un seul souffle, comme une calligraphie naturelle du corps grandissant et vieillissant.

En travaillant physiquement sur différentes manières de saisir ce qui ne peut l’être. Le rapport entre les notions d’insaisissable et de transformation commence à apparaitre : c’est en voulant saisir que l’on déforme / transforme. Chaque objet, chaque idée que l’on approche, se modifie à notre contact, de manière infime, mais de manière observable. Ce qui fait que ce que nous attrapons, n’est plus, ce qui nous avait initialement motivé. Il y a toujours comme un retard causé par notre arrivée. C’est sans fin. Comme une course improbable, où l’on ne cesse de vouloir saisir, ce qui de fait nous échappe. La vérité est insaisissable, le sens profond des choses aussi.

Quand j’étais môme, je vivais dans un ensemble d’immeubles, avec un immense jardin partagé. Il y avait un saule pleureur, avec une branche à notre portée. C’était par-là que grimpaient tous les gosses du quartier. C’était l’endroit, où on saisissait notre courage. On avait d’ailleurs, un peu saccagé son écorce avec nos maintes tentatives. Dans mon souvenir, grâce à cette entrée, on grimpait assez haut. Je faisais partie de ceux qui n’avait pas trop peur et qui partait en exploration loin du sol. Je notais les endroits où j’étais arrivée, et d’en bas, je me refaisais mentalement le chemin, histoire de ne pas oublier. Bien sûr, un jour je suis tombée, d’assez haut, sans avoir compris ce qui s’était passé. J’ai juste senti que quelque chose m’échappait. Arrivée en bas, miraculeusement sans dommage, j’ai réalisé, aussi vite que j’étais tombée, que même s’il y avait cette branche qui nous invitait, la cime resterait toujours hors de notre portée.

Il y a, en effet, toutes sortes de choses que l’on peut comprendre, que l’on peut saisir facilement. Et puis il a tout le reste… Tout ce que la vie peut offrir d’autre… Tout ce qui nous échappe. Tout ce qui est plus vaste que notre compréhension et que notre capacité à saisir et à isoler dans un contour.