se fondre dans le paysage - atelier avec 23 enfants, 1 maîtresse et 10 ordinateurs (et des poètes)

se fondre dans le paysage - atelier avec 23 enfants, 1 maîtresse et 10 ordinateurs (et des poètes)

Publié par Juliette Mézenc

Journal du projet

tout a commencé mais comment savoir quand ça commence vraiment l'écriture ?

c'est parti

 

 

tout a commencé...

 

mais comment savoir quand ça commence vraiment

l'écriture ?

alors on a parlé de « l'écriture dans la tête » parce que je me souviens avoir surtout écrit dans ma tête, à leur âge, le soir, avant de m'endormir

et puis on est revenus aux commencements de l'Almanach Mézenc, et aussi à Des espèces de dissolution, le récit qui a comme « poussé » des notes que je prends, depuis des années maintenant, pour cet almanach qui pousse lui-même sur d'autres almanachs et en particulier le très bel Almanach Vassiliou

je leur ai dit que dans l'Almanach Mézenc il y aurait des cartes, certainement parce que les cartes, IGN et 3D, jouaient un rôle d'importance dans Des espèces de dissolution

je leur ai lu le tout début de ce récit

Doucement. Extrêmement doucement. Sans faire de bruit. S'éparpiller en particules si fines qu'elles se mêleraient à la terre comme au ciel, au pelage des bêtes sauvages tout aussi bien. Rien de bien précis. Des idioties.

L'idée têtue de sa propre disparition revenait pourtant, à heures fixes, avec une grande régularité, elle perforait chacune de ses nuits avec un systématisme désarmant. L'idée prenait une multitude de formes mais jamais celle d'une disparition brutale et totale. C'était plutôt des éparpillements, une atomisation, des espèces de dissolution, des processus lents et très subtils.

L'idée gagnait du terrain. C'était une idée inlassable, sourde. Elle était du genre à étendre son territoire en douce, par tout un réseau complexe de galeries souterraines, avant de faire irruption un matin au grand jour, dans une évidence.

L'idée de nuit en nuit prenait corps.

...

Un rêve lui donna un lieu. C'était un grand champ du plateau ardéchois. Il s'y était allongé l'été précédent. L'herbe brûlée par le vent piquait l'arrière de sa tête, son dos, ses fesses, ses jambes. Il avait fermé les yeux et lorsque il les avait rouverts : un oiseau de proie planait entre lui et le soleil. L'idée avait trouvé son lieu.

Se fondre dans ce paysage, celui-ci et pas un autre. Cette histoire de disparition lente devint soudain très concrète. Il fallut trouver un lieu d'hébergement, étudier des cartes routières, déplier en grand sur la table de la cuisine la carte IGN numéro 2836 OT, s'acclimater à son vocabulaire de lignes et de couleurs, suivre du doigt et de l'oeil les courbes de niveau, d'un rouge éteint, les méandres bleu clair des ruisseaux et des rivières, les départementales, jaunes, les tracés des sentiers de Grande Randonnée, rose vif, survoler les aplats verts des zones boisées, inspecter les zones blanches des étendues herbeuses pour lesquelles il n'y avait pas de légende, il lui fallut du temps pour retrouver le champ qui l'occupait.

on a parlé de cette drôle d'entreprise, « se fondre dans le paysage », et Enzo a déclaré que oui, il voyait très bien, que le personnage voulait faire comme s'il était chez lui, qu'il voulait faire partie du paysage

voilà

c'était parti

pour une carte au trésor (et il s'agissait sur le site Géoportail de choisir sa carte - IGN, Cassini, géologique... - et d'ensuite délimiter le territoire en question)

le trésor ?

une expérience dans le paysage, et ce qui en fait le prix (et il s'agissait de l'écrire, en regard de la carte)

une expérience-trésor

et après ?

la fois d'après, on s'est posé la question : qu'est-ce qu'écrire ? Est-ce que ce n'est pas prendre le temps des questions, justement ? Est-ce qu'un livre n'est pas toujours un livre de questions, toujours ouvertes, ré-ouvertes ? De ces grandes questions que se posent les enfants, dès 4 ou 5 ans ou même avant ? Est-ce qu'un poème n'est pas toujours un peu un poème d'étonnements ?

et on est allés sur Tapin2 pour voir et écouter des poèmes de Tarkos et de Laura Vazquez

ensuite on s'est posé une autre question : écrire, est-ce que ce n'est pas aussi réécrire, souvent ?

et on est allés regarder les manuscrits de Proust sur le site de la BnF

les enfants ont réécrit, plusieurs fois, avec patience, et leurs réalisations seront bientôt mises en ligne dans la partie "du point de vue des écoles"...

et encore après ?
et encore après (nous filons)

et encore après ?

 

 

je savais qu'il y aurait des cartes dans l'Almanach, mais je ne savais pas que je réaliserai des « cartes au trésor » avant de concevoir cette proposition pour eux

 

il y en aura donc, en voici une écrite après l'atelier collectif dans l'atelier dit "personnel" (avec portes communicantes largement ouvertes) :

Nous filons tout droit sur la Départementale 378, nous avons dépassé les sources de la Loire qui disparaissent sous terre et réapparaissent plus loin, maman nous l'a expliqué, nous filons tout droit, nous sortons nos bustes et nous écarquillons nos yeux, nous les fermons parfois parce que le vent embrouille nos cheveux et les rabat en gifles cinglantes sur nos visages, nos cheveux que le vent embrouille, elle blonds et moi châtain, nos yeux écarquillés, elle bleus et moi marron, nos joues, nos lèvres, nos seins naissants, tout est écarquillé, parce qu'il s'agit d'ouvrir au ma-xi-mum, de laisser entrer le vent dans nos corps, les sucs volcaniques aussi, les sources, la chaume sur la chaumière, les vaches, tout, il faut tout faire entrer, avec le vent. Et tout faire traverser ! On se regarde ? Non. Mais on sait que l'autre est à l'autre fenêtre et fait pareil. On file comme ça, deux filles à l'arrière d'une voiture, deux filles qui suivent deux lignes parfaitement parallèles. C'était l'été. Aujourd'hui c'est l'hiver et je suis à l'avant. La burle lève des fantômes sur la route enneigée. Mes roues arrière doivent en lever d'autres. Mais je suis seule et je suis au volant. Ma sœur toujours sur une ligne strictement parallèle mais un peu plus loin, en dehors de la voiture. Je sais qu'elle est là, comme avant, exactement comme avant, sauf que si je détournais la tête je ne la verrais pas. Mais je me rappelle : la physique dit que, dans l'espace-temps qui est courbe, deux lignes que l'on croit strictement parallèles finissent toujours par se rejoindre en un point.

 

et encore après ?
écrire avec la carte en regard