Un conte

SESSION 1 - Se rencontrer / Se raconter

Publié par Juliette Malfray

Journal du projet

Mise en place des protocoles de travail et exploration des médiums artistiques du projet.

Mon envie de travailler sur la thématique de l'émancipation au travers d'un projet artistique, est née de mes lectures sur la rébellion et l’insurrection des enfants, notamment dans Sa majesté des mouches de William Golding, Ferdydurke de Witold Gombrowitz et Les Instructions d’Adam Levin.

J'ai été surprise de voir que dans chacune de ces fictions, malgré la noblesse de la cause de départ (réclamer justice, révéler une vérité…), l'auteur choisissait de montrer la transformation du groupe en une micro société close et injuste, répondant à des règles strictes auxquelles il fallait se soumettre, réutilisant la violence subie pour l’utiliser à leurs fins. Et en refermant chaque livre, je le critiquais pour son fatalisme.

Parallèlement, j’ai été marquée par l’optimisme qui se dégageait des mémoires de l’autrice américaine Tara Westover: Educated. Elle y raconte son enfance au fin fond de l’Idaho, sous l’égide d’un père mormon autoritaire l’ayant élevée dans la peur du monde extérieur et l’attente des derniers jours de l’humanité. Pourtant, malgré son éducation, elle réussit à se forger une opinion, à désobéir et à quitter sa famille pour entrer à l’université. Pour avoir le courage de se rebeller et de résister aux violences morales de son père et aux violences physiques d’un de ses frères, elle écoutait de la musique chorale en cachette. Elle réussit à sortir de ce système clos en poursuivant son désir avec ténacité, dans les interstices de ce qui lui était possible, refusant d’intégrer le cercle de violence dans lequel elle avait grandi. Cette insubordination, contraire à tout ce qui lui a été enseigné, m’a inspirée.

Je me suis souvenue des histoires auxquelles je ne voulais pas croire, enfant. D'où et quand m’est venue cette remise en question ?

Beaucoup de questionnements soulevés dans mes lectures et qui ont fait écho à mon expérience sensible dans l'enfance, sont apparus:

Quels sont les mécanismes à l’œuvre dans la construction d’une opinion individuelle ? Peut-on manifester le refus d’une croyance collective, l’envie de s’extraire d’un groupe, d’affirmer sa différence, sans violence ? La musique est-elle un instrument d’émancipation ?

C'est ainsi que le projet HISTOIRE DE... est né.

 

Un projet à hauteur d'enfant

Pour ma rencontre avec les enfants et ma première session de travail en janvier, il s'agissait avant tout de décaler mon regard, et plutôt que de les inviter à me rejoindre, de me laisser déplacer par leur expérience.

C’est ce que je me suis appliqué à faire en cherchant des modalités pour les rendre actifs, en force de proposition, et en pleine conscience de ce qu’ils font dès les premières étapes du projet. J'ai ainsi démarré les premières séances de transmission par des ateliers d'écriture, de jeux théâtral, de chant choral (1h30 à 2h30 d'atelier). L'occasion de tester ma capacité à faire du sur-mesure avec eux et partir de leurs imaginaires.
Je suis quand même arrivée avec un cadre précis, en l'occurrence la thématique de mon travail de recherche, l'émancipation, mais également un canevas d'histoire fictionnelle à élaborer ensemble, que je leur ai soumis. J’élabore ma réflexion en écho à la leur, à partir de leurs réflexions, leurs remarques autour de la thématique.

 

Je fonctionne au maximum collectivement dans ces ateliers. C'est-à-dire que mes protocoles de travail incluent généralement tout le groupe, si bien que lorsqu'il faut prendre des décisions, les enfants font l'expérience de la collégialité et doivent décider ensemble. Ce protocole me permet imperceptiblement d’avancer sur ma réflexion - mon étude de terrain - sur les conditions d’apparition d’une opinion individuelle dans un groupe.

Le premier de résidence auprès d'eux, début janvier, nous a permis d'avancer ensemble sur le contenu de la fiction : un groupe d’enfant refuse une règle fixée selon laquelle "il est interdit de chanter sous peine de se voir dévoré par un monstre terrible". Cette insurrection collective contre la règle sert de point de départ à une aventure dans laquelle le groupe d'enfant va partir à la rencontre du monstre dévoreur de chant, pour faire un pacte avec lui.

À partir de cette première étape fictionnelle, je m'attache à développer une seconde expérience auprès des enfants : comment énoncer son point de vue sur une situation, tout en le mettant au service du collectif? Leurs réflexions feront l'objet de ma deuxième session de résidence en mars.