Sur le tas

Publié par Martha Dro

Journal du projet

Cela fait maintenant un mois que j’interviens dans la classe de Sandra, une classe à triple niveaux de vingt élèves de CE2, CM1 et CM2. J’apprend le job sur le tas. Je me pose des questions et je pose des questions. Je prends la parole et je donne la parole. J’écoute, j’observe, j’essaie, et parfois, je bafouille. Comment s’adresser aux enfants ? Quelle posture adopter ? Est-ce mon rôle de les gronder ? De veiller à la discipline du groupe ? Faut-il se présenter ? Présenter son travail ? Le projet ? L’ambition du projet que l’on va réaliser ensemble ? Ou faut-il laisser les choses se dérouler, et les expliquer au fur et à mesure ? 

L’empirisme semble être la clé : j’essaye une stratégie après l’autre. La première est de partir de ce que les élèves proposent. Cela permet d’introduire des sujets autant que d’ajuster le contenu des ateliers. Par exemple, au lieu de d’introduire ma pratique et ce que nous allons faire ensemble par une présentation de mes travaux, j’ai demandé : qu’est-ce que le design ? et qu’allons-nous faire ensemble ? Parmi les réponses, «faire attention aux détails» et «fabriquer des choses.» Puis «apprendre à dessiner,» suivi de «je ne sais pas dessiner.» Les enfants, collectivement, savent déjà plein de choses. Mais ils ont aussi des âges où on commence à avoir des a priori et des complexes. Il faut alors s’appuyer sur cela et les utiliser comme socle pour construire quelque chose ensemble. Alors que la notion de design avait l’air d’être comprise, le complexe du dessin a émergé très vite. Il semble être assez ambivalent : tous aimeraient «savoir dessiner», mais beaucoup se persuadent arbitrairement qu’ils ne savent pas. Alors, j’ai dû affirmer que tout le monde sait dessiner, mais que ce ne serait pas l’objet de notre travail ensemble. Un bonhomme bâton, c’est du dessin, non ?

«Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Tout est intéressant.» Déconcertant, non ? 

Ils ont beau avoir entre huit et onze ans, les enfants ont bien compris qu’il est à leur avantage de suivre les consignes. Mais certains (plutôt certaines) semblent avoir peur de mal faire (soit de ne pas suivre la consigne malgré eux). En passant entre les élèves, je m’arrête voir le travail de Lilou. Dès que je m’approche, elle se tend. Je lui demande : «Qu’est-ce qu’il y a, tu as peur de ne pas réussir ?» Elle acquiesce. Ayant été absente la séance précédente, elle ne m’avait peut être pas encore entendu dire qu’il n’y avait pas de bonnes ou de mauvaises réponses dans les activités que je propose. Donc je lui explique et rajoute «Tu sais, c’est normal de faire des erreurs quand on apprend, mais je sais que tu en est capable», puis je lui montre à nouveau ce que je lui propose de faire. Deux minutes après, elle avait fini avant la majorité de la classe.

D’autres ont compris que en rapportant le non respect de la consigne de leur camarade à un adulte, ils exerçaient un pouvoir sur leur camarade. Mais si ne pas suivre la consigne n’est ni grave, ni quelque chose de négatif, que se passe-il ? Une fois Franciscu avait des feutres qui s’emboîtent et forment un jeu de construction. Il a essayé de faire le stylo le plus long qu’il pouvait avec. Ce sont d’autres élèves rapporteurs qui me l’ont montré, en espérant que j’allais le gronder. Mais non, il est important de s’approprier ses outils. Alors je lui ai proposé de tenir son nouvel outil par le bout pour dessiner ses lignes de cahier en plaçant sa feuille au sol. Il a vite compris que c’était plus compliqué de tracer des lignes ainsi, alors il a rapidement dissocié sa construction et repris son travail un simple feutre en main. Ou alors, Farris en a eu marre de faire des lignes de cahier, il a commencé à tracer des grilles de morpion, sans y jouer. Juste la grille, en multiples sur la page.

Alors on se demande : quelle différence faire entre prendre une initiative et désobéir ? Prendre une initiative est une forme de désobéissance constructive, qui questionne la demande. Si il n’y a pas moyen de mal faire, alors l’élève peut se permettre de faire les choses différemment. Qu’est-ce proposer autre chose, si ce n’est une preuve d’indépendance et de créativité ?

Sûrement que, avec le temps, mes stratégies évolueront. Certaines seront remplacées par de nouvelles. Mon regard empirique s’affinera. J’aurai un peu plus d’expérience, et donc de recul. En attendant, je suis émerveillée par l’opportunité de m’essayer à un métier aussi fondamental : comment apprendre à apprendre ?