Un moment-trésor

Un moment-trésor

Publié par Juliette Mézenc

Journal du projet

Nous sommes donc sortis

 

 

... sortis de l'école, sortis de Haute-Loire (mais pas longtemps, au sommet du Mont Mézenc seulement, qui se trouve du côté de l'Ardèche), sortis du car (il faisait froid ce 9 mai au matin, autour de zéro degré, nous étions sur le parking au pied d'un Mézenc entièrement dissimulé par les nuages, les enfants avaient froid, les enfants avaient faim, les enfants avaient soudain très envie de faire pipi... et j'ai eu un (bref mais vif !) moment de doute), sortis d'un nuage (que nous avons traversé pour atteindre le sommet couvert de givre... avec au loin les alpes qui émergeaient de la mer de nuages - et c'était une première, pour beaucoup d'enfants, cette expérience de traverser un nuage et se retrouver juste au-dessus).

 

Les enfants ont bondi, sauté, couru, posé mille questions, écrit plus tard sur leur petit carnet de poche dans un creux du terrain, au soleil - il était question qu'ils prennent des notes au fur et à mesure de la marche mais le froid qui nous a saisi au sortir du car m'a poussé à leur conseiller "d'écrire dans la tête", dans un premier temps.

L'idée était qu'ils notent en vrac leurs sensations – et les maîtresses avaient bien préparé le terrain en amont. Je suis retombée récemment sur cet enjeu du projet tel que je l'avais formulé au départ : « créer les conditions pour découvrir ou redécouvrir ensemble un territoire, le parcourir à vitesse lente, au rythme des saisons, s'y arrêter et y prêter une attention particulière, flottante, à la fois libre et très éveillée. Amener à le voir, le voir vraiment, le vivre et l'éprouver. Apprendre à voir et à sentir. Parce que c'est aussi une question de transmission ». Je rajouterais : vivre, éprouver, traverser le pays et être traversé par le pays, faire partie. J'avais particulièrement insisté, juste avant la sortie, sur les échanges constants entre le « dedans » de leur corps et le « dehors », ne serait-ce que par la respiration, sur la frontière toujours extrêmement poreuse entre (ce que l'on vit comme) l'intérieur et l'extérieur, sur le fait que des images, des sons, des odeurs allaient « entrer » en eux tout comme ils allaient rejeter ou projeter autour d'eux des images, des sons, des odeurs etc.

Et j'ai senti et lu dans leurs textes ensuite que, pour certains du moins, il s'était passé quelque chose de cet ordre là, il me semble en tout cas.

Parce qu'au retour, ils ont écrit. Un premier jet, le plus libre possible dans un premier temps, pour ne pas formater les textes. Il était question d'écrire au présent un moment-trésor de cette sortie au Mézenc, et j'ai tenté de dire ce que j'entendais par là : un moment qui a du prix, un prix in-estimable, une question d'intensité, peut-être, moment souvent lié à un lieu... de ces moments-lieux dans lesquels on revient dans la tête pour s'endormir ou reprendre des forces, un moment-lieu qui aurait la force de la ritournelle de Deleuze, un moment-lieu qui fait écrire...

« Un enfant dans le noir, saisi par la peur, se rassure en chantonnant. Il marche, s’arrête au gré de sa chanson. Perdu, il s’abrite comme il peut, ou s’oriente tant bien que mal avec sa petite chanson. Celle-ci est comme l’esquisse d’un centre stable et calme, stabilisant et calmant, au sein du chaos […]. Maintenant, au contraire, on est chez soi […]. Voilà que les forces du chaos sont tenues à l’extérieur autant qu’il est possible, et l’espace intérieur protège les forces germinatives d’une tâche à remplir, d’une œuvre à faire […]. Un enfant chantonne pour recueillir en soi les forces du travail scolaire à fournir. Une ménagère chantonne, ou met la radio, en même temps qu’elle dresse les forces anti-chaos de son ouvrage […]. Maintenant, au contraire, on entrouvre le cercle, on l’ouvre, on laisse entrer quelqu’un, on appelle quelqu’un, ou bien l’on va soi-même au-dehors, on s’élance. On n’ouvre pas le cercle du côté où se pressent les anciennes forces du chaos, mais dans une autre région, créée par le cercle lui-même. Comme si le cercle tendait lui-même à s’ouvrir sur un futur, en fonction des forces en œuvre qu’il abrite. Et cette fois, c’est pour rejoindre des forces de l’avenir, des forces cosmiques. On s’élance, on risque une improvisation. Mais improviser, c’est rejoindre le Monde, ou se confondre avec lui. On sort de chez soi au fil d’une chansonnette […]. Ce ne sont pas trois moments successifs dans une évolution. Ce sont trois aspects sur une seule et même chose, la Ritournelle »

Je rajoute ici qu'un texte littéraire peut fonctionner pour moi comme un moment-trésor dans lequel je reviens à loisir pour tout à la fois trouver refuge et me donner de l'élan, « sortir » !

La prochaine fois, je parlerai « réécriture » et mettrai leurs textes en ligne, à bientôt...

Nous sommes donc sortis
... si belle occasion pour moi de leur dire que nous vivons au premier étage du ciel, la troposphère, que nous partageons avec les nuages
Nous sommes donc sortis