Au loup !

Cette idée part d’un fait établi : le loup est revenu naturellement en France à partir des années 90, alors qu’il avait été totalement éradiqué de nos campagnes au début du siècle dernier. Des deux premiers loups présents en 1992, le territoire français est désormais parsemé, selon les comptages officiels, de plus de 300 représentants de l’espèce en 2015.

C’est à travers la figure du sauvage, de l’indésirable, du nuisible, que je voudrais ici porter mon attention. Non pas réaliser un énième documentaire animalier sur la splendeur et la majesté de cet animal mythique, mais faire voir ce que cette cohabitation forcée fait apparaître chez nous autres les humains.

En effet, deux positions continuent de s’opposer à ce sujet. D’un côté, les éleveurs voient leurs troupeaux se faire attaquer et veulent donc pratiquer une nouvelle éradication grâce à une chasse acharnée. De l’autre, les associations de protection de la nature désirent instituer des réserves naturelles afin de pratiquer une « sanctuarisation du sauvage » en créant des territoires rendus plus ou moins à l'état naturel.

Ce sont deux modèles traditionnels qui échouent. Le premier car le loup est aujourd’hui protégé juridiquement par la convention de Berne, adoptée en France en 1990, mais aussi moralement : en effet, on ne voit pas comment, au regard des sensibilités contemporaines, on pourrait encore justifier d’un « spéciocide » d’une forme de vie sauvage admirée et respectée, qui de plus est bénéfique d’un point de vue écologique. Le deuxième aussi, car le loup est un animal dit « dispersant » — biologiquement, il est gouverné par une loi de dispersion qui assure sa pérennité évolutive en une diffusion centrifuge par une colonisation extensive de nouveaux territoires — et de ce fait refuserait donc catégoriquement de rester dans les réserves et les parcs naturels qui lui seraient réservés.

Ce sera donc l'occasion pour les élèves de s'approprier un sujet complexe faisant intervenir plusieurs principes rentrant en contradiction, comme la défense de la nature et la protection des éleveurs et de leurs troupeaux.

La découverte des acteurs locaux pourra être l'occasion d'une prise de conscience de la complexité du sujet où personne n'a entièrement raison ni complètement tort. Ce sont des points de vue qui sont attachés à des pratiques et des positions sociales spécifiques. Bien sûr, il ne s'agit pas non plus de faire preuve d'une sociologie réductrice en liant systématiquement un discours à une profession, d'où l'on pourrait vite conclure que tous les éleveurs sont pour l'éradication du loup, ce qui n'est pas le cas. Un des enjeux de ce travail sera d'aller plus loin, de relever les ambiguïtés et de trouver des personnes qui ne rentrent pas dans le moule préconçu qu'on pourrait avoir sur eux, en montrant la complexité du réel.

Partir d'un sujet de société pour lui donner une allure fictionnelle, c'est aussi montrer à quel point la réalité quotidienne peut être revalorisée et réinterprété à l'aune d'une expérience artistique. C'est une expérimentation qui a pour but de montrer aux enfants qu'il est possible de se réapproprier leur environnement, de le faire vivre et non pas de l'accepter passivement. C'est un appel à l'imaginaire qui n'est pas dépourvu de sens car il permet de dépasser certaines contradictions dans lesquelles l'être humain a tendance à s'enfermer.

C'est grâce à l'implication active des élèves qu'il sera possible de réaliser ce projet. En effet, le film ne sera pas que constitué de moments de cinéma direct mais aussi de mises en scènes jouées par les élèves eux-mêmes où ils pourront devenir narrateurs de l'histoire. C'est donc dans une concertation que pourra se réaliser ce film où chacun pourra se reconnaître et où les élèves seront à la fois acteur et réalisateur de leur propre histoire.