Réaliser un film collectif, qui serait une fenêtre entre la classe et tout ce qui constitue son dehors. Sous la forme d'une lettre, elle deviendrait le portrait de la classe et des lieux traversés par les élèves, tant au niveau spatial que symbolique. Entre le documentaire et la fiction, peut être même de l'animation, nous explorerons à travers le montage de matières hétérogènes, tous les mondes visuels et sonores qui s'ouvrent à nous au fil des séances. L'envie est d'inscrire le cinéma au coeur de la vie quotidienne des élèves, tant au niveau des thèmes abordés (famille, trajets, rapport à la ville/à la nature) qu'au niveau du déroulement de la résidence. En dehors des interventions où nous définirons notre terrain de jeu commun, je vos la résidence comme une sorte de "permanence cinéma", où les élèves pourront venir échanger, voir l'avancée du film, apporter des nouvelles matières. Deux jours par semaine, je serais sur place pour faire du montage et de la recherche sur notre travail. Le principe fondateur est de transmettre des outils filmiques aux élèves, pour qu'ils rapportent au sein de la classe des trésors du dehors à la manière de reporter du quotidien: des bribes de leur vie, de leur histoire, de celle de leurs parents. L'aspect ludique est un autre grand principe, les élèves se réapproprient l'outil image, ainsi que leur propre histoire, à la fois en s'amusant mais aussi en construisant un '"nous", un corps collectif, composé de plusieurs individualités.
Jeune diplômée de la Fémis en Réalisation, réaliser un film et réfléchir sur la transmission du 7ème art en milieu scolaire sont des perspectives pleines de belles promesses. J’ai souvent pensé que l’Art pouvait et devait se transmettre, contrairement à une vision romantique souvent mise en avant, qui enfermerait l’artiste dans un monde en dehors de la société. Mes différentes expériences d’enseignement m’ont confirmé chaque fois, malgré les difficultés et le sentiment d’impuissance auquel elles renvoient parfois, la nécessité et les vertus de cette transmission, qui est avant tout un échange. Au fil des expériences, j’ai du affûter mes outils, adapter mon langage, préserver malgré les conditions l’aspect ludique et vertueux de l’apprentissage. Le contact avec ces publics si différents m’a construite en tant que femme mais aussi en tant que cinéaste.
Le sens que je donne aujourd’hui au cinéma est en partie issu de ces échanges, de ces mondes qui communiquent alors qu’ils n’ont rien à voir. Il y a de ces espaces entre les choses qui travaillent dans mes films. Et aussi la notion d’étrangeté, d’exil, de mémoire, d’Histoire collective. J’ai essayé chaque fois de me mettre à la place de l’Autre, si vulnérable parfois face à l’Institution que j’ai pu représenter dans ces différents postes. Je me considère plutôt comme « messagère », ou « pont », entre les uns et les autres. Le cinéma permet ce travail de relation, dont le médiateur entre eux et moi serait la caméra.
Le premier film que j’ai réalisé est un documentaire Tours d’Exil. Je suis partie en quête de fantômes, des âmes errantes des personnes qui ont disparu pendant le génocide khmer rouge. Mon postulat était que ces fantômes continuaient à hanter les tours du 13ème de Paris, qu’ils avaient suivi le trajet de ces survivants jusqu’en France. Pour la première fois grâce au film, ma mère a raconté son histoire et celle de mon père. Ils ont perdu une grande partie de leur famille. Je crois que le cinéma sert aussi de révélateur, de choses qu’on ne voit pas ou plus.
Parce qu’il y a trop d’images aujourd’hui, elles perdent aussi de leur force. J’aimerais que ces jeunes voient, fabriquent, inventent, leurs propres images. Prendre le temps de regarder, d’observer ce qui les entoure avec des yeux neufs. Nous travaillerons sur la mémoire qu’il porte souvent malgré eux, je les inviterai à explorer l’histoire de leur famille, et celle de leur ville. Nous irons chercher ce qu’il y a de beau et de singulier dans une parole, dans un visage, dans une personne. Nous apprendrons à voir l’invisible.
J’ai tenté de concevoir un projet artistique à partir d’une double dynamique : s’ancrer dans la ville, leur lieu de vie et puiser dans la pluralité des regards des collégiens.
J’envisage de réaliser une lettre filmée adressée à un habitant d’un autre monde ou d’une autre planète. Partition sonore et visuelle, cette lettre esquissera le portrait de la ville au présent à partir de récits du passé, de paysages creusés dans les visages, de lieux marqués par le temps et par ceux qui les peuplent. Les élèves récolteront images et sons en déambulant dans leur ville, en s’immergeant dans les maisons, en arpentant les lieux publics. Naîtra une symphonie harmonieuse et parfois dissonnante, composée d’autant de trajectoires qu’il existe de manières de voir et de raconter.
Un chantier poétique sur le modèle de la Lettre à Freddy Buache de Godard et Sans Soleil de Marker, sauf que l’hétérogénité sera la caractéristique première de notre objet. Mon travail sera en partie de le rendre un et unique. Du documentaire à la fiction et vice versa, l’atelier ne se fixera pas sur une manière de faire. Nous convoquerons ensemble nos imaginaires, plus ou moins éloigné du réel. Après tout, une sensation, n’est elle pas tout aussi réelle?
L’enjeu étant à la fois artistique et pédagogique, j’ai l’intuition que leurs points de vue intimes donneront un souffle à ma recherche cinématographique, mais que réciproquement, le cadre mis en place par l’atelier permettra aux adolescents de regarder, d’entendre, de vivre autrement leur ville. C’est un dialogue, un mouvement d’eux à eux à moi et de moi à eux, des images à nous, des paroles entre elles, du son par rapport aux images, du dehors de la ville vers l’intérieur de la classe. Nous rapporterons des fragments du monde dans l’enceinte du dedans.
J’ai envie qu’ensemble nous regardions la beauté, dans un sens d’abord instinctif. : Le détail, le quotidien, le banal, une observation pragmatique, de ce qui se joue devant nos yeux.
C’est un film collectif, un caléidoscope formant et déformant l’image de la ville, du passé et de l’avenir. Tout ce qui sera crée dès les premières séances, constituera la matière vivante et potentielle du film. Nous la fixerons de manière définitive au montage.
J’aimerais mettre en œuvre ce que Claude Régy disait à propos de la création artistique et de tout processus vivant : c’est le chemin qui compte pas le but.
Nous veillerons à toujours valoriser cette notion de brouillon, d'esquisse: tout ce qu’on fait est source de quelque chose, producteur de sens.
Vendée
Par le(s) artiste(s)