Derrière l’esthétique clinquante et colorée des piñatas se cachent des codes et des mythologies. Bien que les piñatas soient aujourd’hui un symbole de fête, devenu objet de consommation et de loisir, elles ont longtemps été plus symboliques. Que ces objets à détruire aient été utilisés en Chine, au Danemark ou au Mexique, ils ont toujours été porteurs des craintes et des aspirations des civilisations qui les créaient. Aujourd’hui, quelles sont nos craintes, nos peurs, nos envies et nos aspirations ? En utilisant des symboles contemporains et des techniques ancestrales comme la broderie et la céramique, je cherche à imaginer de nouvelles formes pour ce rituel de destruction exutoire.
En réponse à une sobriété de mise, j’aime imaginer des objets joyeux et bavards. Pour ça, j’agrémente l’utile par du décoratif, j’orne à outrance. La notion d’usage ne suffit plus à l’objet, il faut que ça brille, que ça provoque l’œil et l’esprit, que l’on ait envie de réagir. Les objets sont alors conteurs de leurs propres histoires, racontent leurs fabrications et les rêves qui les portent, et deviennent support à nos projections et nos aspirations. Depuis quelques temps, je développe un intérêt grandissant pour les piñatas. Ça a commencé par l’esthétique clinquante et colorée de ces objets, par leur caractère festif, mais aussi et surtout par la complexité qui se cache derrière. Ces objets sont, et ont toujours été, supports et vecteurs de croyances. Les colons espagnols les utilisaient au 16ème siècle en Amérique latine pour convertir les populations locales, les encourageant à détruire une étoile à 7 branches symbolisant les 7 péchés capitaux. En fouillant un peu plus loin, on retrouve dans de nombreuses cultures des traces d’objets semblables à la piñata, c’est-à-dire des objets dédiés à une destruction rituelle. On peut suivre les traces de ces objets de la Chine à l’Italie, en passant par le Danemark et les Philippines. Que ça soit un pot en terre épuré rempli de paillettes, une figurine d’animal en papier léger et coloré, une offrande à une déesse, un simili-chat noir sur lequel on frappe pour chasser la malchance ou un objet pour célébrer la fin des vendanges, ces objets éphémères sont porteurs de sens dans des civilisations pourtant très différentes. Les caractéristiques sont les mêmes. Il y a dans ces objets un paradoxe entre le temps long et de leur fabrication, et celui très court de leur destruction. La création longue et minutieuse d’une piñata n’est dédiée qu’à sa destruction dans un geste défouloir, exutoire lors d’un rituel collectif et festif. Le plaisir découle certes des bonbons, sucreries et pacotilles qui en tombent comme une récompense mais surtout dans l’acte de frapper fort cet objet fragile, jusqu’à le casser, jusqu’à ce qu’il explose intégralement. En questionnant les croyances, expressions, coutumes et superstitions contemporaines, j’aimerais imaginer d’autres formes pour ces objets rituels, qu’ils deviennent les narrateurs de notre histoire. Faire de ces objets devenus uniquement célébratoires un reflet de ce qui nous effraie, ce qui nous rassure, ce en quoi on croit, ce qui nous meut, ce qui nous tente, ce qui nous plait. Se situer entre mythologie intime et crainte générationnelle, entre légendes locales et histoire familiale, et parler de ce qui nous habite aujourd’hui. En utilisant des pratiques lentes comme la broderie et la céramique, j’aimerai prendre le temps d’assimiler nos peurs et nos joies, et celui de les conter au fil sur des objets exutoires. Raconter ces croyances d’aujourd’hui en utilisant des techniques ancestrales, faire briller nos mythes à grand renfort de sequins et de fils colorés, de céramiques émaillées, de plumes factices et de papiers métalliques. « Le fil s'enfonçait toujours plus profondément dans l'épaisseur du tissu. Mais il ne s'agissait plus d'étoffe, l'aiguille fouillait plus loin. La pointe chatouilla le petit garçon endormi, elle retrouva son ombre cachée au pied d'un olivier et les ligota solidement l'un à l'autre. Frasquita mit bord à bord désir et volonté et recousit le tout. » Carole Martinez, Le cœur cousu.
Hérault
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