Au vu du lieu d’implantation du projet et des classes concernés, l’enjeu principal du projet est de familiariser les élèves au langage poétique ainsi qu’à détourner la pratique d’écriture de sa conception scolaire. Il s’agit de leur permettre de se libérer des conventions, présupposés qui entourent l’écriture. Auprès des classes de CM, et en passant par des ateliers mêlant étroitement écriture et arts plastiques, nous allons explorer le langage poétique contemporain : syntaxe, mise en page, jeux d’écriture issus de l’OuLiPo sont des pistes de travail. Ces exercices permettront aussi d’approcher la notion de processus créatif. Travailler sur et avec des poèmes ratés, des erreurs, des brouillons permet de désacraliser l’écriture et de comprendre sa plasticité, sa mobilité. Echouer, refondre, reconstruire sont les outils de la pratique d’écriture et c’est à les mettant en jeu que je crois possible d’entrer en sympathie avec elle. Auprès des classes de CE, nous allons chercher à préciser le langage et la pensée. À l’âge ou leur rapport aux mots se construit, j’aimerais leur proposer des pistes de réflexions sur la capacité du langage à construire des images. En travaillant autour de la fable ou du conte, qui proposent une interprétation imagée des préoccupations humaines, nous tenterons de construire nos propres versions de ces « mondes parallèles ». Que faire si autour de soi, tout est fait de bleu et que nous sommes verts ? Comment agir dans un univers mou, comment tenir droit dans un monde rond ? C’est avec leur langage et leur capacité à le faire muter que nous allons inventer des réponses. Pour clôturer notre rencontre, il est envisagé de réaliser une édition et d’initier les élèves à la lecture publique / performance.
Je conçois ma pratique artistique comme résolument hybride et protéiforme. Livres d’artiste, lectures, vidéos et performances sont des terrains de jeux au sein desquels l’écriture, le travail de la langue et du discours ont une place centrale. Les différents médiums permettent des variations, ré-interprétations, développements qui s’entrelacent et se répondent. Tous réinventent le texte et en proposent un « passage à l’acte ». Fragments de réel détournés, incorporés à une fiction ou éléments clé d’une chronique théorique, sont de vrais moteurs de création. Les productions qui découlent de cette démarche questionnent des notions souvent associées en binôme : immédiateté / délai, souvenir / présence, lieux-communs / digressions. Construites autour de paradoxes, les créations appuient la fragilité, l’ambigüité de la perception. Dans ma pratique, la question de la transition du texte à sa représentation se pose au travers ce que je nomme : « papiers performés ». Cette catégorie hybride propose une version papier d’un évènement éphémère, en donne un reflet tout en conservant la singularité de chaque édition. J’entrevois, dans cette série d’objets, la possibilité de traiter le texte et la performance par des productions transversales qui mettent en jeu la notion de représentation. C’est l’écriture de textes rassemblés dans l’édition Contes Solubles qui a fait germer le projet Feuilles volantes que je souhaite développer dans le cadre de la résidence. Bien qu'il s'agissent de "contes", Contes Solubles se destine à un public adulte. Ce premier glissement m’intéresse particulièrement. Travailler dans un registre et le faire vaciller de l’intérieur est déjà une remise en jeu du statut du texte et des attentes du lecteur. Ce genre, par son histoire et sa place dans le domaine littéraire, a une place ambiguë. Les contes relèvent, en dépit de leur apparence légère, d’une dimension sombre ou absurde et laissent entrevoir une critique de société, de mœurs. Là encore : ambigüité, superposition de grilles de lecture, de perceptions. La fable, elle, propose un décalque d’une situation réelle à laquelle on implique une légère torsion pour l’expliciter. Axée sur la transformation du monde, cette littérature permet de questionner sa place dans un environnement quotidien, partagé par tous et pourtant vécu différemment par chacun. C’est en cela que ce projet rejoint un thème central de ma pratique artistique : l’interaction entre soi et le réel. La première série de textes rassemblée sous Contes Solubles s’articule autour de la relation amoureuse, du désir et de la variabilité des sentiments. Au travers des histoires de personnages dysfonctionnels se lit un rapport à la mémoire, à l’apparence des souvenirs, à la fiabilité du réel. J’aimerais poursuivre ce travail, l’augmenter et écrire d’autres recueils. J’ai déjà en tête plusieurs axes de travail. Les Contes Vapeurs se construiraient autour de l’univers de la nourriture, la cuisine, la gourmandise. Les Contes À Rebours, eux, questionneraient un rapport au temps, à l’espace et à leur possible confusion. Tout un réseau de lectures sous-tendent ma démarche. Ecritures de fiction comme théories au positionnement poétique sont sources d’inspiration. Même si elles empruntent à des registres variés, elle témoignent de cette volonté de chercher du côté d’une écriture de l’imaginaire demeurant très étroitement liée à des réflexions sur le monde environnant. Les ouvrages d’Italo Calvino (Cosmicomics, Les villes invisibles), Kathy Acker (Don Quichotte - Ce qui était un rêve), Ryoko Sekiguchi (Dîner Fantasma, L’astringent) Nicholson Baker (La belle échappée), Régis Jauffret (Microfictions), certaines nouvelles de Guy de Maupassant, ou même, dans un autre registre, Mythologies de Rolland Barthes font parti du maillage qui se constitue actuellement en appui de ma recherche littéraire. Pour clôturer notre rencontre, il est envisager de réaliser une maquette et d’initier les élèves à la lecture publique / performance. Ces deux formes ouvrent des champs d’expression qui me tiennent particulièrement à cœur et que ma pratique artistique revendique. La forme livre permet un accès direct, particulier au texte. Le toucher du papier lors de la manipulation, la gestuelle que la lecture convoque (lire allongé, dans un coin, assis, isolé) active une véritable intimité. En parallèle, faire une lecture à voix haute, créer des conditions d’écoute et définir un espace scénique participe à la mise en place d’une expérience commune, fédératrice. Créer une performance revient à créer un moment, un état suspendu où le corps, la voix et le texte prennent acte dans le réel. Dans une société où la parole publique est souvent confisquée par des médias d’information, publicitaires ou de divertissement, la place de la performance est à mon sens un espace de liberté, d’opportunité et de poésie qu’il me paraît essentiel de transmettre et de valoriser aux yeux de la jeune génération avant que les discours qui l’entourent ne les en prive.
Lot
Par le(s) artiste(s)