Du singulier au commun et du commun au singulier. Les deux danseurs, que sont Hamdi Dridi et Laura Dufour, vont constituer le socle du projet Création en cours avec deux solos et un duo. Ils navigueront entre le commun et le singulier avec des sources et matériaux qu’ils ont rassemblé depuis leur travail de création. C’est donc parfois ensemble et séparément qu’ils travailleront, pour laisser le temps et l’espace à l’un ou à l’autre de chercher seul, par lui-même, dans une autonomie la plus totale afin d'essayer de trouver ce qui peut être moteur en chacun d'eux. Dans le cadre de la résidence à l’école, ils souhaiteront varier les espaces de travail car cela fait partie de leur méthode de création et permet de rendre leur matière chorégraphique multiple : ils y trouveront de la ressource et des envies qu’ils n’auront pas dans un studio de danse. Il y aura création d’un objet chorégraphique et/ou sonore à partir des codes et des matériaux qu'ils vont créer sur place et qui serviront de base d’écriture commune. Ce sera une œuvre unique qui appartiendra au lieu, à l’espace, au groupe et au public présent.
Présentation des artistes et de l'initiation de leur projet :
Au cours de leur formation au CNDC d’Angers (2013-2015) un temps leur a été accordé pour approcher la création artistique individuelle sous la forme du solo. Hamdi a fait le choix de rendre hommage à son père, décédé en 2014, en créant Tu Meur(s) De Terre qu’il dansa ensuite dans plusieurs festivals du moyen orient et qu’il continue encore à tourner. Ce solo a fait l’objet du reportage Let’s dance ! de la chaîne ARTE, un programme sur la création de la danse contemporaine en solo.
De son côté, Laura a initié sa recherche avec Fragments d’un labyrinthe, un court solo où il est question d’intimité, de solitude et de quotidien avec différents états du corps qui se font écho et s’entrechoquent avec fulgurance. Depuis la fin de sa formation elle établit des recherches philosophiques, psychologiques et sociologiques sur les comportements humains seuls ou en société.
A la suite de leur formation ils ont tous deux choisi de poursuivre leurs études au sein de deux institutions différentes :
• pour Hamdi, le centre chorégraphique national de Montpellier avec le master EXERCE où il développe et expérimente la composition sonore et le bruitage, travaille dans des espaces autres que celui du théâtre et essaie d’ouvrir sa position de danseur et de chorégraphe à d’autres formes artistiques. En termes d’écriture chorégraphique il cherche à mettre en laboratoire le mouvement de l’ouvrier et du corps pendant une activité artistique ou sociale afin de montrer le corps au travail. Aujourd’hui il donne suite à ces éléments sous la forme du solo qu’il travaille avec un groupe de danseurs tunisiens majoritairement empreints de la danse hip-hop.
• pour Laura, le Pont Supérieur de Nantes dans la formation en 400heures du diplôme d’Etat de professeur de danse contemporaine. Ainsi Laura a pu prendre confiance avec l’expérience qu’elle avait emmagasiné pour développer sa propre manière de partager et transmettre son chemin dans la danse avec sa gestuelle singulière et son approche sensible au mouvement. Aujourd’hui elle travaille avec différents chorégraphes tels qu’Emmanuel Eggermont, Loïc Touzé et Ambra Senatore et prend note de ces expériences qui lui semblent faire écho à ses motivations personnelles.
C’est pour son premier projet, dans ce nouvel établissement de recherche, qu’Hamdi a invité Laura à partager son temps en studio et lui a proposé d’expérimenter des langages corporels, de tester des constructions sonores, de produire de la matière dansée avec leurs deux corps et donc leurs deux gestuelles différentes, et ainsi ils sont allés jusqu’à la création de leur première forme en duo : Traduction. Cela leur a donné de la force que de commencer à travailler ensemble à ce moment-là, car le fait d’avoir étudié et pratiqué les mêmes techniques de la danse contemporaine au CNDC leur a permis de se voir mutuellement dans des qualités corporelles qui leurs étaient familières ou pas du tout. Cette connaissance de leur deux corps leur a permis d’avancer très vite dans la construction de ce duo qui traduisait le mouvement dansé dans une sonorisation de l’espace. Le son est un élément phare du travail que mène Hamdi pour son master et c’est ce qui fera le lien entre ses différentes recherches.
Aujourd’hui tous deux souhaitent continuer ce projet commun de recherche et de création, qui s’intitule désormais : Comment commencer et comment finir ?, en procédant en deux étapes : la première étant un temps de recherche personnelle et individuelle, sans la présence de l’autre sur le lieu de travail, afin de développer et de dégager de nouvelles dimensions dans la création en solo. La seconde serait la mise en commun de ces nouvelles matières dansées ou sonores.
Hamdi et Laura désirent continuer cet échange artistique car ils y trouvent de la complémentarité de par leur expérience en danse, leurs physicalités distinctes et leurs projets qu’ils mènent avec d’autres artistes ; le but étant de se sentir en constante évolution en questionnant l’autre pour lui donner un regard différent sur son travail et de le faire avancer dans sa réflexion.
Présentation du projet solo de Laura :
C'est un projet d’extension et de recréation du solo Fragments d'un labyrinthe :
" Labyrinthe serait aussi une forme solo dans laquelle on distinguerait des écritures chorégraphiques très différentes les unes des autres par leurs origines et leurs esthétiques. Le labyrinthe est pour moi le symbole de la complexité humaine puisqu’il est créé par l’homme et pour l’homme. Certains philosophes diront que l’homme sauvage est un homme bon, sans vis et sans maux de l’humanité entière ; maître de son destin religieux, moral et politique ; et qu'une inégalité entre les besoins et les désirs de l’homme serait à l’origine d’une construction civile. D’autres diront que l’homme se met en société par nécessité car à l’état de nature il serait vulnérable et en danger. Ces thèses, parmi de nombreuses autres, nourrissent ma réflexion sur la posture de l’homme et ses multiples facettes. Mes sources d’inspirations sont diverses et variées puisqu’elles vont des mythes grecs aux techniques d’improvisation de William Forsythe, en passant par les pratiques socio-corporelles d’Anna Halprin, le film Dédales de René Manzor, Guernica de Pablo Picasso, les réflexions de Georges Didi-Huberman ainsi que mes propres réflexions basées sur des moments quotidiens d’observation dans les espaces publics. Lorsque je suis en résidence dans un studio ou que j’ai l’opportunité d’occuper un lieu inhabituel, je fais des sessions d’improvisation en choisissant trois éléments, cela permet de créer des ponts entre ces différentes documentations, des complémentarités se distinguent et enfin, nourrie de toute cette recherche foisonnante, mon esprit fait le relais à mon corps qui lui-même, par son expérience, va entrer dans une pratique corporelle. Le souvenir de la sensation vécu, parfois aidé par la vidéo, permet de revenir sur une certaine gestuelle que je souhaite retravailler pour définir son temps, son espace et sa densité afin d’en toucher l’essence pure et simple.
Les gens, avec leurs langages, leurs gestes quotidiens et leurs comportements, sont tout aussi singuliers les uns que les autres et le corps de chacun, son enveloppe, peut abriter différents sentiments ou émotions qui peuvent apparaître par la verbalisation, par le mouvement ou par un état physique interne; les trois étant liés à l'état psychologique de la personne. L' individu, le sujet, la personne que chacun est pour lui-même, l'est aussi pour les autres et pour ce qui l'entoure. Il me semble que la singularité de ce corps physique a une influence sur sa manière de parler, de bouger et d'être perçus par les différents êtres vivants. Je questionne donc au sein de mon propre corps ces multiples facettes de ma construction corporelle et psychologique en choisissant des contraintes physiques comme un matériau lourd que je devrai porter sur la tête, un vêtement qui a une texture particulière ou des chaussures que je n'ai pas l'habitude de porter. Ces éléments externes à mon corps auront une influence sur ma posture et ma manière de me mouvoir et à partir de ces nouvelles sensations, je travaillerai en improvisation dans différents espaces pour développer des matériaux dansés avec des identités fortement distinctes. L'esthétique de chaque matériau sera travaillée pendant ces temps de résidences afin de développer sur moi-même la notion de personnage, d'animal ou de sculpture dansante et de permettre aux élèves de faire fonctionner leur imagination face à ces diverses propositions.
Lors du partage de matériaux dansés ou sonores avec Hamdi, nous travaillerons sur l'écriture de l'espace c'est-à-dire l'assemblage d'une création chorégraphique avec une composition sonore et le choix d'un espace de représentation. De cette manière, nous chercherons à rendre visible un lieu de passage fonctionnel qu'on ne prend jamais le temps de regarder, ou détourner la fonctionnalité d'une pièce en une autre : par exemple, une salle de classe qui pourrait devenir un lieu d'exposition. Aussi, faire apparaître des détails, des hauteurs, des textures, des luminosités et capter les sons, bruits et silences qui rythment la journée de chaque individu pour en créer une composition sonore et spatiale."
Présentation du projet solo de Hamdi :
L’espace de questionnement qui existe entre le son et le mouvement est un centre de résistance, au sein duquel je rêve d’exposer le quotidien d'un citoyen du monde et de l'artiste à travers l’histoire d’une idée. Je fais appel à ma mémoire, aux souvenirs sonores qui rendent le son et le mouvement composant d’un patrimoine à travers la présence et l'absence physique du spectateur et de l'interprète. A part l'épuisement du mouvement du corps en tant qu'ouvrier performatif, dans l'espace public comme un musée, une mosquée, ou un quartier, de quoi peut-on parler et par quoi commencer quand on est citoyen du monde et artiste face à la frontière et l'information audiovisuelle non concrétisée ?
- Réfléchir l'espace dans son architecture de boîte noire ou blanche : salle de spectacle ou espace public. Décomposer et articuler l’espace de présentation pour inviter autrement le regard et l’attention de celui qui regarde comme celui qui acte.
- Créer une installation, d’un objet contenant des sources lumineuses et sonores qui éclairent et sonorises des zones dans l'espace. Aussi je souhaite créer un costume emballé de sources sonores et un autre de lumières pour explorer le corps comme objet et installation plastique et performative.
Ce sont des images plastiques sur lesquelles je travaille actuellement avec d'autres chercheurs de ma dernière année de master au centre chorégraphique de Montpellier. Les idées sont en cours de réflexion et de construction et représentent des éléments complémentaires autour du rapport son - mouvement.
Il s'agit de chercher les sons de chaque lieu de résidence de création, donc à chaque fois c'est une nouvelle création, elle s'appelle ''l'œuvre unique''.
Ma démarche : Je cherche un objet dans l'espace et j'expose en même temps l'enregistrement sonore du même objet mais amplifié et décomposé par un logiciel de mixage sonore (Wave Pad). Donc exposer le mouvement d'un objet qui est visiblement immobile. Par exemple : par un touché et puis une immobilité de l'interprète, le spectateur percevra par l'écoute le mouvement sonore de l'endroit indiqué. Donc un aller-retour entre la présence physique et la présence de l'objet. Le matériau c'est l'espace avec tous ces éléments. Cette démarche est associé à un des solos mobiles du projet '' Les un(e)s et les autres ''. C'est une œuvre collective qui consiste à construire une performance solo autour de l'expérimentation sonore et la composition du mouvement. Elle se crée collectivement à travers un montage et un enregistrement d'un temps qui est une intention d'enregistrer et archiver l'espace pendant un événement.
La recherche corporelle : À travers le son des percussions et avec la notion de répétition de l’épuisement du mouvement dansé et sonore, on obtient la mobilité inconsciente du corps et la question de l’adresse. C’est ce que je souhaite expérimenter seul, avec Laura et dans les ateliers avec les élèves. La richesse de communication et la mobilité de ce corps, est une piste à verbaliser, à analyser et à sonoriser pour la rendre patrimoine, comme la danse traditionnelle, folklore ou autre. L’idée de l’archive, de la partition et de la transposition de ces mouvements spontanés produits par un corps vierge, qui n'a aucun code de la danse est un point à articuler dans cette recherche. L'importance de l'individu à l'intérieur d'un groupe se fait par la mise en laboratoire d’une création solo en parallèle d'un ou plusieurs autres solos, pendant une période de création qui contiendrait toute sorte de rencontres et de documentations. Par l'analyse de soi en solo face à un espace avec un univers sonore et un temps. Je questionne le vivre ensemble à partir de nos présences et absences en tant qu'interprète et citoyen.
Charente
Par le(s) artiste(s)