La comparution est un projet théâtral mené par la compagnie « le Désordre des choses », dont les membres sont sortant.e.s de l’Ecole de la Comédie de Saint Etienne et de l’Ensatt. Il s’agit d’une pièce, écrite à la fois par un auteur et par un collectif d’act.eur.rice.s, autour de l’appareil judiciaire français, des violences policières et des émeutes urbaines. La comparution sera répétée entre mars 2018 et février 2019 et créée lors de la saison 2019-2020.
“La comparution“ est le deuxième volet d’un travail autour de la fracture coloniale, entamé l’année passée par la pièce “B.A.B.A.R, (le transparent noir)“. Si le premier volet s’intéressait à notre héritage colonial et mémoriel, La comparution parlera d’aujourd’hui. Quels rapports coloniaux entretient encore la France sur son sol avec ses « enfants issu.e.s de l’immigration »? Comment l’État français a-t-il produit un racisme étatisé, développant une justice à deux vitesses? Parce que nous pensons le théâtre comme une possibilité d’émancipation sociale, nous travaillons à un théâtre au coeur du réel. C’est pour cela que nous travaillons toujours en lien avec des sociologues. Pour “B.A.B.A.R (le transparent noir)“ nous avions travaillé avec les sociologues Nicolas Bancel et Ahmed Boubeker, spécialistes du fait colonial. Pour “La comparution“ nous souhaitons travailler avec les sociologues Mathieu Rigouste et Didier Fassin, spécialistes des forces de l’ordre et de la B.A.C. Deux objets précis seront mis en étude: la police (par l’intermédiaire de la B.A.C) et l’appareil judiciaire. La police tout d’abord, et notamment la Brigade Anti-Criminalité, son fondateur Pierre Boulotte, formé en Algérie, et préfet de Martinique au moment des manifs de 1967 (où celui-ci ordonne de tirer sur la foule). Son organisation fondée sur un modèle colonial et son impunité (judiciaire notamment), sa politique du chiffre menant à la production du délit et notamment du flagrant délit (il n’y a de flagrant que ce qui est rendu visible). L’appareil judiciaire ensuite, les comparutions immédiates (mis en place pour permettre l’arrestation des vagabond.e.s), la différence profonde de milieu entre juge et accusé.e, leur différence de langage, la disproportion des peines, l'inaccessibilité du droit, la concentration des interpellations sur les petits trafics de stupéfiants (alors que la grande évasion fiscale n’est que très peu jugée), la criminalisation de la figure du/de la banlieusard.e. Ce que nous voulons à travers ce nouveau projet (dans la continuité de “B.A.B.A.R (le transparent noir)“ interrogeant notre rapport intime/fantasmé au racisme), c’est de permettre d’interroger la part historique de nos intimités et de nos situations individuelles. Parce qu’il déploie des histoires, des narrations dissidentes et trans-historiques, le théâtre peut permettre à l’individu de recentrer son histoire personnelle dans une histoire commune. Par cette double réflexion menée sur la police et l’appareil judiciaire (comment les techniques coloniales de contrôle et de répression ont modifié le fonctionnement même de nos institutions), c’est notre rapport à “l’autre“ que nous voulons questionner. Entendons “l’autre“ ici comme celui-celle “en trop“, comme celui-celle “en dehors“, comme celui-celle à “la marge“. Nous nous intéresserons donc aussi à la figure de l’émeutier.e. Le parallèle entre la classe dangereuse (pour reprendre la définition de Gustave Le Bon dans sa psychologie des foules) que constituait la classe travailleuse ouvrière à la fin du XIXème siècle et la construction de la figure du banlieusard.e et de l’émeutier.e n’est pas sans écho. A chaque période historique, à chaque nouveau développement du capitalisme répond une nouvelle stigmatisation du corps-prolétaire et subalterne. L’État n’a jamais cessé de penser certain.e.s de ses membres comme des ennemi.e.s en puissance. Les métaphores médicales sont pléthore: cancer, maladie, contagion, gangrène. A chaque époque son virus dans le Grand Corps National, et L’état, comme instance capitale, décide de l’ablation des parties malades. C’est cela qui amène, pour reprendre Foucault, a une politique de la gestion, du contrôle, à une bio-politique de gestion, d’analyse, de classification des territoires. Comment donc cette politique de la gestion et du contrôle, ce “pouvoir-vie“ a-t-il constitué au sein de la société française une échelle des humanités? Comment un nano-racisme étatique -pour reprendre l'expression du sociologue Achille Mbembé- s'est-il institué, créant sur le sol français deux catégories de citoyen.ne.s (ce qui n'est pas sans rappeler les catégories sous la colonisation françaises), le bon sujet et l'autre délinquant-dissident, davantage présumé coupable que l'inverse? Comment le/labanlieusard.e est-il/elle devenu.e un nouvel indigène? Certains territoires sont au centre, d’autres à la périphérie. Ce que nous voulons, comme dirait le rappeur Ekoué, c’est remettre « la périphérie au centre. »
Meuse
Par le(s) artiste(s)