Comment trois jeunes femmes ayant le sentiment d’être menacées par une épée de Damoclès peuvent par un rêve se réapproprier leur existence ? Comment l’époque actuelle apparaît dans les rêves et les cauchemars ? Ces questions traversent Samuel Gallet et sa pièce La Ville Ouverte - Editions Espaces 34. Nous passons d’un monde à l’autre sans nous en rendre compte : à chaque fois que la nuit tombe, nous entrons dans le sommeil. Il existe une vie derrière nos paupières closes qui nous laisse, lorsqu’on y prête attention, des souvenirs marquants.
Margaux Loire et Amélie Charbonnier proposent aux jeunes d’explorer les liens secrets que la réalité et le rêve tissent entre eux. A partir d’un processus pluridisciplinaire, ces derniers sont amenés, par l’écriture de leurs rêves, à éprouver par la danse, le chant et le jeu théâtral ce matériau spectaculaire et énigmatique pour construire et offrir aux spectateurs un voyage vers l’inconscient.
Nous avons l’envie d’interroger le rêve - ce territoire nocturne gouverné par l’inconscient qui nous échappe, et sa fonction. Le rêve est d’abord personnel. Pour Toby Nathan, il est généré par un rêveur qui assemble des éléments vécus pour créer un scénario inédit, une réalité parallèle, une vie autre. Mais le rêve entre également dans le domaine de l’expérience commune : tous les dormeurs - enfants et adultes ont accès au sommeil et donc au rêve.
Le rêve est la ligne directrice de notre travail. Il nous apparaît comme le moyen de s’échapper, de se protéger, de résister au poids du passé. Partagé, il dénoue les tensions et offre la potentialité d’inventer, de créer des ailleurs, de la diversité, de mettre en marche les désirs inconscients qui sont des forces motrices pour aller plus avant. Il est déclencheur.
Nous sommes trois jeunes femmes Margaux, Amélie, et Leslie. Nous avons joué ensemble à plusieurs reprises - Tartuffe (Molière) et les Muses Orphelines (Michel-Marc Bouchard) à la Galerie Oppidum, Paris. Nous travaillons en vue de la création de La Ville Ouverte, de Samuel Gallet. Cette pièce relate le récit de trois femmes, qui ne se connaissent pas, mais qui vivent toutes les trois dans une grande ville et qui ont le sentiment commun qu’une épée de Damoclès est sur le point de tomber sur elles. Elles ont l’impression d’être démunies dans leur vie mais aussi face au monde actuel. Elles se réfugient dans le sommeil. Elles se rencontrent dans un rêve commun à l’époque du mythe de Damoclès et s’organisent pour aller tuer le tyran de Syracuse et se réapproprier leur vie.
La Ville ouverte a été écrite par Samuel Gallet durant un cycle d’écriture au Préau - CDN de Vire, mené autour de la question : comment l’époque actuelle apparaît dans les rêves ?
La pièce est constituée de quatre parties, qui suivent le rythme du cycle du sommeil. La première expose la vie quotidienne de ces femmes, leurs préoccupations et leurs entrées dans le sommeil. La deuxième dévoile le début du rêve commun - la phase de sommeil léger, dans lequel les trois femmes se rencontrent sous une autre identité - un masque, et décident de fomenter un coup d’état contre le régime totalitaire et patriarcal. La troisième partie développe une phase plus avancée du rêve, qui se produit durant le sommeil profond : les trois femmes rencontrent le tyran de Syracuse et signent sa chute. Ces deux derniers chapitres (qui constituent le rêve commun) sont les plus importants de la pièce. La quatrième partie raconte la phase de sommeil paradoxal, et la phase d’éveil qui annonce un départ nouveau pour ces femmes.
La structure de la pièce de Samuel Gallet est comparable à celle du voyage du héro développée par Joseph Campbell dans Le Héro aux mille et un visages (le protagoniste du récit suit une sorte de voyage initiatique vers son émancipation). Il s’agit d’une écriture souple qui mêle passages racontés, dialogues, monologues : une sorte de collage kaléidoscopique de fragments de vies, qui avance. Elle repose sur trois éléments piliers : un chœur de femmes, le rêve commun et un scénario précis (le mythe de Damoclès).
Pour le dispositif Création en cours, nous souhaitons mettre en place un temps de recherche et d’expérimentation avec les enfants autour des potentialités scéniques qu’offre le rêve. Il s’agit d’un jeu de construction réalisé avec les enfants à partir de la structure d’écriture que propose Samuel Gallet, pour bâtir une création unique à partir des récits des enfants.
Pour cela nous proposons de partir des éléments piliers de la pièce : conserver la thématique du rêve (notre point de départ) et transposer le chœur des femmes en un chœur d’enfant. A partir d’une pratique pluridisciplinaire - chant, danse, théâtre, écriture, notre travail avec les enfants sera de monter une dramaturgie à partir d’une collecte de rêves au sein de la classe rencontrée. Nous sommes toutes les trois actrices et avons chacune nos spécificités - Margaux est chanteuse lyrique, Amélie est danseuse et conteuse, Leslie est metteuse en scène. Nous voulons partager ces compétences avec les enfants.
Toujours dans le soucis d’interroger la manière dont le monde actuel apparaît dans le rêve, nous voulons amener les enfants à écrire leurs rêves, vécus ou inventés. Pour cela nous voulons d’abord leur donner de la matière (dialogue sur des thèmes choisis, jeux dansés, chantés, joués, lecture de textes, d’images…) lors de ce que nous appelons Routine, c’est à dire un cycle de travail qui va devenir une sorte de ritournelle, que l’on va retrouver à chaque interventions, pour donner à l’enfant une autonomie.
De notre côté, nous intervenantes, choisirons dans les écrits que les enfants veulent bien nous confier ce qui peut faire spectacle, ce qui peut provoquer un conflit - un point de départ qui empêche, et qui, par le voyage dans un rêve commun à tous les enfants (acteurs, chanteurs, danseurs) peut se résoudre. Il est aussi question d’éprouver des manières de matérialiser le rêve au plateau - en le racontant, en le faisant apparaître par images, en le jouant, en le dansant, avec des passages chantés, en transposant l’écrit à la scène.
Nous travaillerons sur des notions qui entrent en dialogue avec les éléments de notre pièce : le chœur, le rêve et les possibilités théâtrales que ce matériau offre.
L’intérêt est double. Pour l’enfant, il s’agit par une pratique pluridisciplinaire - chant, danse, théâtre et écriture, de prendre conscience de son corps, de maîtriser sa voix et de jouer un rôle. De partager avec nous un processus de création en lien avec un travail choral : comment exister dans un groupe, comment affirmer son individualité dans celui-ci tout en coexistant avec lui ? D’être amené, à partir d’une proposition de création, à créer et s’approprier le matériau qui va faire spectacle, dont il est acteur et dont il va faire cadeau aux spectateurs (parents, professeurs, représentants de l’académie) le jour de la restitution. Nous désirons que l’enfant puisse grandir par cette rencontre. Ce travail à partir des rêves avec les enfants va aboutir à une restitution en dialogue avec la Ville Ouverte mais qui sera autonome vis-à-vis de celle-ci. Pour nous interprètes, ce voyage avec les enfants va nous apporter de la matière pour aborder ce gros travail sur le rêve commun qui constitue la plus grande partie de la pièce. Cela va nous permettre de nous interroger en même temps que nous interrogeons les enfants : comment peut-on jouer de manière non réaliste à partir de situations parfois absurdes, comment faire apparaître des images fortes, des métamorphoses, les sensations physique et psychique que le rêves offrent, comment transposer un rêve virtuel à une réalité scénique ?
Fellini puisait dans ses rêves pour réaliser ses films. Le rêve apparaît comme le terreau des créateurs. Nous voulons avec les enfants jouer pleinement de ce matériau.