Le projet est adossé à la création de « Faire le monstre », ma prochaine pièce chorégraphique (soutenue par le CND en 2018). « Faire le monstre » est une pièce de danse qui explore notre tendance naturelle à imiter et à voir des imitations. Elle met en scène cette pratique fictionnaire spontanée que nous développons dans l’enfance. Les enfants en effet sont les premiers à faire des monstres, ils jouent à se faire rire et peur en déformant leur corps. Parce que l’échange et le travail avec eux sont au cœur de ma création, la transmission sera essentielle à mon processus de création. Je donnerai aux élèves les outils pour mettre leur pratique en scène, je travaillerai avec eux à récolter et archiver des monstres. Ces archives seront des partitions à interpréter sur scène. Deux formes spectaculaires seront alors présentées : une première où j’interprèterai les monstres inventés par les élèves, une seconde mettra en scène leur propre interprétation.
Les enfants sont les premiers à faire des monstres et ce sont souvent ceux pour qui on les fait. Ils jouent à se faire peur et rire en faisant des imitations. « Dès l'enfance, écrit Aristote dans la Poétique, les hommes ont, inscrites dans leur nature, à la fois une tendance à imiter et une tendance à éprouver du plaisir aux imitations. » Je veux faire de cette pratique fictionnaire spontanée l’objet de de ma prochaine pièce chorégraphique. Comment cette pratique fictionnaire peut-elle devenir un spectacle ? Si en faisant le monstre les enfants font déjà une sorte de spectacle, qu’est ce que le passage à la scène ajoute ? Le travail et les échanges permanents avec les enfants sont au coeur de ma création et sont donc indispensables à son processus. À travers cette résidence, je veux faire de la transmission une partie intégrante du processus de création. Je souhaite donner aux élèves les outils pour mettre leur pratique en scène. J’irai voir comment ces formes de mise en scène ont déjà été à l’oeuvre dans des lieux s’écartant du spectacle conventionnel, tels que le cirque et le cabaret. C’est pourquoi mon travail chorégraphique s’appuiera sur un travail de recherche d’archives. Avec cette résidence, j’entamerai ainsi le processus de création qui mènera à ma prochaine pièce chorégraphique : « Faire le monstre ». Je souhaite développer un langage corporel à partir d’un travail de documentation et je construirai ainsi l’ossature d'une nouvelle pièce. Une première version de cette pièce sera présentée dans l’établissement scolaire à l’issue de la résidence et au Centre National de la Danse où je serai accueillie en résidence en 2018. Le dispositif « création en cours » me permettra de mener un travail de documentation et de recherche qui posera les bases du travail d’expérimentation, d’interprétation en studio et de transmission. « Faire le monstre » est un solo de danse qui plonge au cœur de l’expression et de l’imitation. Avec cette pièce, je me propose de construire et d’incarner des personnages monstrueux, de leur prêter mon corps pour leur donner forme. Je me fais l’interprète de figures imaginaires, fantastiques et réelles, de corps difformes et captivants, de bêtes mi-humaines mi-animales. Je me déforme, je fais la grimace pour faire apparaître ceux que Michel Foucault désigne comme la première figure des Anormaux. Le monstre, parce qu’il combine l'impossible et l'interdit, met en œuvre l’imagination en la poussant vers ses limites. Il nous est intime et inconnu, familier et inquiétant. Pourtant « faire le monstre » fait souvent rire. Voir un visage connu revêtir des traits étrangers nous secoue de rire. Quel est donc ce geste capable de produire simultanément un sentiment d’effroi et d'hilarité ? Qu’est ce qui provoque le tremblement des corps tant chez celui qui incarne le monstre que chez celui qui le regarde ? « Faire le monstre » est une tentative pour atteindre Autrui. Avec cette pièce je me propose d’interroger l’expérience cathartique du théâtre à partir du processus d’imitation. Selon Aristote, la catharsis s’opère dans la tragédie par certains états affectifs que fait naître la musique ou la trame narrative. Le spectateur éprouve de la peur, de la pitié, ou de l’exaltation. Je m’intéresserai à l’expression de ces émotions mais sans la narration, à partir de la seule expression des corps. Si on enlève l’histoire et le costume et qu’on ne garde que l’expressivité de l'interprète, que reste-t-il de l’acte d’interprétation ? Que voyons nous alors ? C’est dans cette nudité de l’expression que les figures de la danse se lèvent et qu’un sens se déploie. Un sens et une représentation qui ne se produisent que par l'adresse, parce que celui qui fait ne le fait que pour un autre. « Faire le monstre » explore ce rapport particulier entre danseur et spectateur : il fait du regard la condition de la danse. 1/ OBSERVER LE MONSTRE Puisque les monstres ont toujours suscité la curiosité, faisant d’eux des objets à observer et à exhiber, j’étudierai des cas du monstrueux. Je me concentrerai sur la figure du monstre construite par le cirque. Au cirque le monstre revêt toujours une forme spectaculaire : les nains, les siamois, les femmes à barbe mais aussi les sauvages et les peuples exotiques sont présentés et exposés. Je m’intéresserai donc à la fabrique des monstres pour reprendre l’expression de l’historien du cirque Robert Bogdan. Mais la figure du monstre traverse aussi la danse et a nourri l’imaginaire corporel de nombreux chorégraphes. J’étudierai la démarche de la danseuse et humoriste allemande Valeska Gert. Grande figure de la danse expressionniste, Valeska Gert se produisait principalement dans des cabarets. Ses solos peignaient des personnages marginaux et des satires, par des danses rythmées, composées de sons, de mimiques déformantes et de visages grimaçants. « Quand je faisais du théâtre, je regrettais la danse, et quand je dansais le théâtre me manquait. Le conflit a duré jusqu'à ce que l'idée me vienne de réunir les deux : je voulais danser des personnages. » Par ces danses, Valeska Gert a ouvert la voie à une nouvelle esthétique, la danse-théâtre, et a influencé des chorégraphes comme Pina Bausch et Maguy Marin. 2/ LA FABRIQUE DU MONSTRE À partir de ce travail de documentation, je commencerai, dans un premier temps, par archiver les monstres rencontrés et imaginés. Ces archives utiliseront le dessin et le texte pour décrire les corps de ces monstres, leur caractéristique et leur univers. Celles-ci serviront ensuite de partitions à interpréter sur scène. Parce que le monstre, contrairement à la bête, n’a pas de forme en soi et que nous voyons tous des monstres différents, les monstres archivés auront des auteurs multiples. Je demanderai à des proches, à des inconnus, aux élèves de l’école, aux enseignants de me confier leurs monstres pour construire les archives. 3/ L’INCARNATION DU MONSTRE Dans un second temps, je donnerai corps à ces monstres par un travail d’interprétation en studio. Je chercherai pour chaque monstre quelle corporéité, quel visage, quelle façon de se mouvoir lui appartient. Chaque incarnation d’un monstre donnera lieu à un numéro. La forme spectaculaire sera construite par l’ensemble des numéros, à la manière du cabaret. « Faire le monstre » est un acte collectif. On fait rarement le monstre seul. On le fait devant quelqu’un. Le monstre est toujours adressé et cherche à produire un effet. C’est pourquoi tout au long du processus, je présenterai « mes premiers monstres » aux enfants et aux artistes qui m’accompagneront. Je ferai de leur regard un enjeu essentiel du travail d’interprétation, je les interrogerai sur les émotions qu’ils ont éprouvées et sur ce qu’ils ont vu. Le monstre est un troisième terme : il se construit entre celui qui fait et celui qui regarde. Ma démarche se construira dans un aller-retour constant entre faire, voir, et parler. Le solo qui en résultera sera une pièce aux auteurs multiples. Une pièce faite par d’autres et pour d’autres. Une pièce dont je serai l’interprète. Je me ferai l’interprète de mes monstres comme ceux des autres. Ces monstres seront présentés sur scène mais aussi dans d’autres espaces d’exposition, tels que des musées. J’irai chercher le spectacle en dehors de ces espaces.
Nord
Par le(s) artiste(s)