En mars 2017, à Budapest, j'ai trouvé un appareil photo jetable. 27 photos, instructions en langue allemande, et à droite de l'objectif l'inscription "lucky flash". Les 27 photos avaient été prises, il n'était pas encore développé. Sur la tranche, il était inscrit sa date maximale d'utilisation : 1990. On peut supposer qu'il a été acheté et utilisé dans les années 80, en Allemagne ou en Hongrie. Je l'ai emporté avec moi, voilà maintenant trois ans qu'il est sur mon bureau. Je ne sais pas encore ce qu'il contient. Une histoire d'avant la chute du mur.
Lucky flash n'est pas encore écrit. Son point de départ est un appareil photo, non encore développé. Un objet dont, à ce stade, j'ignore le contenu. À l'origine de ce projet il y a donc ce premier contact avec l'objet, la préciosité -ou non – de son contenu, ce qu'il renferme, ce qu'il garde caché. Ce point de départ fait aussi écho au processus de création théâtrale : il est une jetée en avant. Un pari sur ce que renferme cet objet, sur lequel on peut lire, comme un présage, l'inscription "lucky flash".
Un premier temps de l'écriture tournera nécessairement autour de la fiction, et de ce que nous attendons de cet objet. Comment recomposer l'Allemagne des années 90 ? Comment saisir cet espace-temps particulier, pris dans un système sur le point de finir ? Cet appareil photo, outre la question de l'histoire individuelle qu'il abrite, est aussi le témoin de circonstances qui vont être réenvisagées 30 ans après la chute du mur.
Le second temps de l'écriture suivra le développement de la pellicule : elle dépendra donc de son contenu, qui sera peut être altéré, inexploitable, inattendu. Peut on retrouver, ou forcer, le sens d'une image ? Comment reconvoquer les éléments d'une photographie sur scène ?
Formellement, Lucky flash, dans la continuité de mon précédent projet Diorama, s'inscrit dans une théâtralité infructueuse : qui ne cherche pas à imposer une interprétation, ni à entrer dans des rapports de rythme efficaces, et qui se targue d'être toujours restée étrangère au concept de réussite.
Manifeste pour un théâtre infructueux
-"Les Allemands rient quand on se casse la gueule et qu’on se fait mal. En Suisse, où on passe son temps à regarder ce que fait l’autre, la chose la plus drôle, c’est un type qui essaye de bien faire les choses mais qui n’y arrive pas. Faire de son mieux et rater, c’est très poétique." Bettina Stucky, actrice chez Marthaler
-Un échec réussi, a t on dit d'Apollo 13. A l'instar d'Apollo 13, nous aspirons à un échec réussi.
-Même les choses les plus inutiles méritent qu'on les organise. Il faut passer beaucoup de temps à des choses inutiles, et s'y montrer perfectionniste. Sertir l'inutilité. L'organiser, la construire et la penser méthodiquement. Chérir le foireux, les ratés et les pertes de temps. Je déclare ici mon amour des choses chronophages.
-Un jour, un professeur d'interprétation m'avait dit : "ne vous collez pas au radiateur. Le radiateur aura toujours plus de présence que vous". Aujourd'hui, j'aimerais écouter ce qu'en pense le radiateur.
-Organiser le vide. Organiser l'organisation. Organiser la logique. S'adresser à soi pour plus tard : organiser le passé.
-Et décliner le principe de déclinaison.
-Établir des rituels contre l'effondrement : "il vaut mieux pomper d'arrache pied, même s'il ne se passe rien, que de risquer qu'il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas". (proverbe Shadock)
-Ces propositions auront comme point de recoupement un goût certain pour les toiles peintes, les tentatives douteuses, les protocoles et les rituels étrangers.
-Carl von Linné (1707-1778) entreprit une vaste conquête du monde par le langage, en dé-nommant et renommant l'essentiel des espèces vivantes connues à son époque. Il faudrait perpétuer l'expérience, nommer compulsivement et observer la réaction du monde. Comment se comporte un objet lorsque l'on change son nom ?
- «Le monde est rempli d'objets, plus ou moins intéressants : je n'ai aucune envie d'en ajouter même un seul. Je préfère, simplement, constater l'existence des choses en terme de temps et/ou de lieu. » dit Douglas Huebler.
-L'inutile est sûrement utile ailleurs.
-Continuer inlassablement à raffiner ses obsessions.
-«La chaise est une critique de l’arbre plus intéressante que l’incendie de forêt.» dit Jacques Roubaud.
Par le(s) artiste(s)