Cheminant d’île en île en quête de nouveaux récits, Mazzeru est un projet scénique protéiforme né dans les forêts de la Castagniccia, là où certains mythes et croyances nous connectent aux domaines de l’invisible et du rêve. Il emprunte son nom à un passeur des lieux corse pouvant chasser en rêve notre double animal et guidant les morts dans leur traversée vers l’autre rive. En suivant sa piste, d’autres figures se déploient telles que la sorcière et permettent d’imaginer une rencontre dans une danse sensible à l’écologie de la relation.
Expérimenté sous forme de performance et vidéo, ce laboratoire de recherche engagera un partage du processus de création avec les enfants et un questionnement sur la conscience écologique et notre condition onirique : comment réapprendre à cohabiter avec le vivant et à considérer l’humain comme un système de transformation? La portée scénique de ce projet sera empreinte de questionnements liés au domaine de l'invisible et à l'écoféminisme.
Comment peut-on penser nos manières d'être au monde avec l’invisible, et par déclinaison, imaginer de nouveaux rapports avec le vivant ? Quelles figures mythologiques issues d’un imaginaire commun contribueraient à redéfinir la matière des rêves et le rôle qu’ils occupent dans notre quotidien diurne, en révélant notre possible réinvention au regard des schèmes relationnels antérieurs et de nouvelles interactions écologiques ?
Mazzeru est un projet né il y a deux ans lors d’une investigation menée sur le site ayant inspiré l’auteur Jean-Claude Rogliano pour l’écriture de son roman Mal’concilio. Depuis, sa forme performative se développe en cultivant des connexions interculturelles entre les récits corses et ceux des îles bretonnes qui me sont familières depuis mon enfance (Bréhat et l’Île-Grande). Ayant traversé des temps de laboratoires en collectif, Mazzeru continue de se transformer pour tisser un nouveau cordon d’ancrage qui le reliera directement aux îlien.ne.s.
Mon premier choix d’implantation est la Haute Corse, afin de pouvoir travailler sur un site imprégné du mazzerisme et des pratiques des signadoras que je souhaiterais rencontrer. En réalisant la résidence sur cette île, je prendrai contact avec l’auteur Jean-Claude Rogliano et l’artiste Danielle Florantini, alias Nitcheva, afin de développer et partager ma recherche in situ en lien avec leur propres aspirations artistiques et les récits qu' ielles détiennent. Cependant, le projet reste adaptable à l'île de la Réunion et aux territoires insulaires abritants d'autres mythes et personnages de l'invisible tels que Grand-mère Kalle.
En suivant la piste des figures mythologiques du passeur de lieu et de la sorcière, je procéderai à une récolte de récits qui me seront transmis à l’oral. La mise en relation de ces histoires mettra en lumière des formes de survivance à l’acculturation ou culturation coloniale et fera émerger une mémoire collective teintée d’ésotérisme. Pour mener cette enquête de terrain, ma démarche s’inspirera de pratiques ethno-cinématographiques d’artistes tels que Ben Russell et Ben Rivers qui questionnent notre rapport au réel et au monde vivant.
Les enjeux majeurs de la résidence seront de faire éprouver au projet Mazzeru le devenir et la liaison au rêve dans la durée, mais aussi de porter une réflexion sensible sur ce que la condition onirique du corps signifierait en opposition à la domestication du monde vivant. Elle repose sur une recherche de la symbolique des matières, de la dynamique du vivant de ses phénomènes, d’où une forte présence d’éléments tels que l’eau, la terre et la forêt. En convoquant d'anciens et de nouveaux mythes émergents qui éveilleraient notre conscience écologique, ce projet de recherche donnera lieu à une forme chorégraphique au théâtre.
Lors d’ateliers de pratiques corporelles et d’art-plastique, les élèves de CM1/CM2 pourront expérimenter une performance-dansée en s’appropriant les personnages du passeur et de la sorcière. Nous pourrons nous appuyer sur la lecture d’extraits du conte initiatique Mal’concilio, souvent étudié à l’école en Corse. Les temps dédiés à la transmission nous permettront de collaborer sur différentes étapes du processus de création en commençant par la récolte de rêves et d’histoires liées à leurs familles et à leurs proches. Cette connection générationnelle interrogera la transmission à l’oral et les lègues de savoir et de croyances de nos aîné.e.s. La fabrication de masques et de costumes nous permettra d’incarner des figures garantes du maintien de l’harmonie avec le monde vivant. Le chaman-passeur et la sorcière-guérisseuse représenteront les héros et les héroïnes de nos récits. Lorsque nous rentrerons dans la phase de pratique corporelle, nous pourrons organiser une sortie en extérieur afin de créer de la matière d’improvisation in situ et d’y transposer nos récits de rêves. L’occasion nous sera donnée de développer des formes de collaboration performées avec le vivant, de jouer de l’impermanence d’un paysage mouvant et de ressentir les êtres partageant un écosystème. Les enfants seront invités à porter une attention sensible, intuitive et inclusive sur les sujets environnant. Au cours de ce travail visant à une performance finale, iels deviendront acteurices de leur propre création en lien avec les récits qui les habitent.