Nous choisirons un lieu comme point de départ de notre recherche de non spécialistes, parce qu’il s’agira de faire du savoir qu’est l’histoire un enjeu poétique. Nous la réécrirons en choisissant notre propre langage, comme le film, l’écriture ou encore la performance. Nous naviguerons d’écho en écho, nous collecterons les résonances, pour finalement donner à voir de nouveaux récits.
« Je rentrais passer trois jours à la campagne. Là-bas c’était un plateau qui se voulait des plus banals; j’avais toujours pensé qu’il n’était qu’une des nombreuses répliques d’une forme d’espace anonyme que l’on avait placées un peu partout sur le territoire, entre les villes, les côtes et les montagnes. C’était un plateau à cases, paysage de bocage où des routes, des petites levées de terre et des haies traçaient les lignes de cette grille, parsemée de quelques bourgs, fermes et châteaux. À mesure que je parcourais l’espace, j’avais cette impression grandissante qu’il se faisait histoire, malgré son apparente platitude. Le calme qui y régnait avait à voir avec l’attente, comme si le temps, là-bas, n’était jamais celui du présent mais celui de la perspective. Il fallait se projeter pour apercevoir l’évènement, jamais rien n’était là maintenant, mais avait eu lieu, ou aurait lieu un jour. Il fallait attendre la résurgence.»¹ En septembre 2017 débutera mon année de résidence à Corsaint. Je l’appelle résidence car j’y resterai pour un temps déterminé, avec un début et une fin, comme on part en mission. Mon travail prend toujours appui sur un lieu, déterminé par une histoire personnelle, une lecture, une rencontre. Cette fois je voulais me déplacer sans raison, en milieu rural français, là où j’y serai étrangère. C’est comme ça que j’irai passer une année à Corsaint, à la frontière de l’Yonne et de la Côte d’Or, où je ne connais rien ni personne. Ce territoire inconnu sera ma zone d’extraction pour y poursuivre, le temps de quatre saisons, la construction d’une pratique artistique qui aime se prendre pour une recherche scientifique. Spécialiste de rien mais curieuse de tout, j’envisage d’abord des promenades à la rencontre de l’évènement, perdu sous les couches de l’indifférence. « Il m’a semblé effectuer un parcours à travers des lieux que je connaissais, des sortes de lieux génériques partagés entre la persistance de leur singularité spatio-temporelle et une aptitude à se laisser envelopper dans la brume qui leur donne la forme vague d’un déjà-vu. Ils sont des lieux en attente, à l’aspect tranquille, se tenant là immobiles jusqu’à l’évènement, à moins que cet évènement ne leur soit discrètement inhérent ».² Comme les chasseurs conteurs aux origines du récit, je suivrai les traces qui me permettront d’écrire des histoires dont le fil narratif pourrait bien se transformer en surface, celle d’une image ou d’un espace d’exposition. Dans la continuité des mes précédents projets, il s’agira d’employer une méthode dite paranoïaque, mais une paranoïa hors des catégories médicales et sociales. Une paranoïa poétique, une paranoïa qui détecte des nœuds dans un système nerveux, là où l’évènement est en tension, une paranoïa qui emploie la métaphore, qui tisse une toile, qui donne leur forme aux constellations. J’utiliserai la paranoïa comme un outil de construction pour des formes à venir tout au long de cette année de résidence: film, performance, édition,… J’envisage dans un premier temps d’effectuer ces promenades seule, puis, une fois le lieu devenu familier, je proposerai régulièrement des invitations à d’autres artistes afin de mêler nos pratiques en regard des recherches effectuées sur le territoire. La restitution du travail vers un public local fera partie des formats et des temporalités à questionner. Repartir de zéro ou revenir au point de départ, le fantasme du vide et la nostalgie d’une origine. Dans ma pratique, je contourne en permanence ces notions impossibles, en travaillant à réécrire les histoires, parce que partout les choses résonnent, et c’est d’attraper ces échos et de les retransmettre sous une autre forme dont il s’agit. Mes différents projets s’inscrivent comme des tentatives pour faire de ce savoir qu’est l’histoire un enjeu poétique. « Les déplacements doivent être maintenus dans l’évidence de leur récit car l’enjeu est de taille: requalifier les lignes historiques classiques et traditionnelles, déjouer les ruses des discours esthétisants, naviguer entre les lieux communs.»³ 1. Extrait du récit « Trois jours à la campagne », seconde partie de mon mémoire de Master intitulé Scènes en attente, 2012, p15. 2. idem, p14. 3. Extrait du livre "Les chercheurs d’or - Films d’artistes, histoire de l’art" de Clara Schulmann, éditions Les presses du réel, 2014, p20. J’emprunte à ce passage le titre de mon projet.
Côte-d'Or
Par le(s) artiste(s)