Planète A est un projet de création chorégraphique qui cherche à ranimer notre relation au ciel étoilé. Son observation est une expérience antique, existentielle et universelle, qui tend à disparaître en raison de la pollution lumineuse. Inspirée de la nouvelle Quand les ténèbres viendront de Isaac Asimov, la recherche pour ce solo survient au sein d’un cadre imaginaire où un personnage non civilisé rencontre l’obscurité pour la première fois. Dans un monde archaïque, il traverse un état de corps contradictoire, entre frénésie et retenue. Quelle sensation, valeur, et mémoire laisse cette expérience ? Quelles oppositions physiques et émotionnelles procure-t-elle ?
Avec les enfants, l’objectif est de découvrir leur rapport personnel au ciel et au cosmos, et de trouver les émotions, les sensations et les images qui en découlent. Ce sera notre porte d’entrée vers une pratique d’éveil corporel sensible, d’ouverture de leur pensée artistique, et de création chorégraphique.
Planète A : une ode au ciel étoilé, un univers en extinction
L’univers du ciel étoilé
En Août 2019, j’ai été touchée et inspirée par la lecture de l’article Revoir les étoiles, naissance d’une revendication de Razmig Keucheyan (Le Monde Diplomatique, n°785) sur la pollution lumineuse. Il m’a alarmée sur la disparition de notre ciel étoilé et m’a ouvert un grand imaginaire de création : celui de la nuit et des étoiles, le point de départ de ma recherche.
Depuis l'Antiquité, l’Homme n’a cessé de projeter dans les cieux ses propres rêveries, désirs et aspirations ; la Nuit, fille de Chaos et le Ciel étoilé, fils de la Terre “qu'il recouvrit de tous côtés et qui devint la demeure éternelle des dieux immortels”. Tout au long de notre Histoire, les phénomènes célestes constants nous ont permis d’élaborer un système de connaissances et de repères dans le temps et l'espace. Aujourd’hui, l'essor de la science et de la technologie modernes nous a entraîné dans un lent processus d'oubli de la signification et de la fonction des étoiles dans notre culture, couronné par leur disparition actuelle. Que se passerait-il si nous pouvions effacer notre histoire avec les étoiles, et recommencer ?
Le solo Planète A explore les états émotionnels et physiques que l'observation du ciel et du cosmos peut provoquer en nous : plonger dans le vide, se sentir absorbé de manière vertigineuse, être à la fois pleinement vivant et oppressé par l’imperceptible infini, être une partie d’un tout, ... Cet ensemble de contradictions pose les bases de ma recherche corporelle et intellectuelle.
Contexte, cadre imaginaire
Avec l’intention de ranimer la relation magique avec l’obscurité et le ciel étoilé, et, inspirée par la nouvelle Quand les Ténèbres viendront de Isaac Asimov (1969), cette pièce se place au sein d’un cadre imaginaire. Un personnage vit seul sur la Planète A, un monde archaïque, loin de toute civilisation. Il n’a jamais connu l’obscurité. Un jour, la nuit tombe. Angoissé par cette inconnue noirceur, il se sent disparaître, crie à l’aide et en même temps, crie de plaisir de se sentir en vie, et de vibrer jusqu’aux tréfonds du cosmos. Plus l’obscurité arrive, plus il perd ses repères et plus il entre dans un état capricieux. Ce corps impétueux se transforme et se réinvente perpétuellement d’une vitalité grandissante. Il se purge, se libère, jouit de l'énergie transcendante de la nuit dans une danse animale et primitive.
Démarche chorégraphique, un état de corps contradictoire et multiple
Ma recherche se situe dans l’exploration des émotions et expressions possibles dans le large spectre de la peur à l’extase. Mon langage corporel forge l’identité du personnage que j’interprète : intuitif et sauvage, frénétique et charnel, mû par des forces dionysiaques. L’investigation d’un état de corps décomplexé invite à éprouver la fragilité des frontières entre émerveillement et peur, plaisir et douleur, violence et grâce, … qui se situent en chacun de nous. Comment exprimer une multitude d’états physiques et émotionnels dans un seul corps ?
Au début, ce corps ne peut exprimer tous ces états. Il est contraint, en retenue, comme si toutes les forces opposées qui le tirent dans différentes directions s’annulent et l’empêchent de se mouvoir. Dans le bas du corps, je recherche un vocabulaire chorégraphique minimaliste et répétitif. J’imagine des pas électriques permanents, écho d’un cœur qui bat sans relâche. Le haut du corps à l’inverse, fait l’expérience de métamorphoses. Au début de la pièce le buste, la tête, le regard, hissés vers le haut sont en retenue et peu changeants. Ils évoluent progressivement dans des variations de gestes, pour arriver à un trop-plein, varient parfois brutalement de registre, et traversent des expressions du visage intenses.
Planète A plonge au cœur de l’expression des contradictions humaines, nourri par mon imaginaire et par celui des enfants avec qui je vais danser. Je me ferai l’interprète de mes identités comme des leurs. Le spectateur est à la fois considéré comme témoin, partenaire qui peut s’avérer inconnu, bienveillant ou dangereux.
Dramaturgie : une purge, une montée vers l’extase
J’imagine la ligne dramaturgique comme une montée vers la transe : par l’épuisement, l’extase. Les variations de gestes sont très progressives et laissent le spectateur en attente, rendant chaque détail de mouvement très visible. Dans une tension permanente, l’état multiple et de trop-plein est présent dès le début, mais ne s’exprime vraiment qu’à la fin. La danse incessante évoque le mouvement perpétuel des étoiles, et l’éternel retour de l’obscurité, que chaque individu attend et craint en même temps. Plus nous entrons dans la nuit, plus le personnage disparaît, plus le public est invité à affiner ses sens, à entrer en contact avec son intériorité, et à se rapprocher du danseur par l’audibilité de son souffle.
Me concentrant sur la création d’images et d’atmosphères palpables, je souhaite créer un climat de planète morte, froide et desséchée. Un bourdonnement grave et lancinant qui s’intensifie sera exploré avec le créateur sonore Sébastien Robert pour que la création chorégraphique et sonore résonne physiquement dans l’espace, se propage dans les corps. Une planète plongée dans un blanc éblouissant, une descente vers le noir, des étoiles qui s’échappent et la palette des couleurs du ciel sont des pistes pour concevoir la création lumière avec Willy Cessa, en fonction des lieux qui seront mis à notre disposition pour la produire.
Conclusion
La lumière est ce qui nous lie à l’Univers et nous révèle l’impermanence du cosmos. L’obscurité, elle, permet de voir le ciel étoilé, et atteste de notre petitesse dans l’immense inconnu qui nous entoure. Par la création du solo Planète A, je souhaite repenser notre condition humaine de manière sensible et singulière, en recherchant à la fois l’infiniment petit, la précision, le détail du mouvement, et l’immensité de l’espace noir infini, la projection lointaine de mon imaginaire. Avec Création en Cours, je désire développer un langage corporel à partir d’une recherche intellectuelle et physique. Je construirai l’ossature d'une nouvelle pièce, qui a pour but d’être diffusée.
Jusqu’ici chaque individu a pu faire l’expérience universelle et existentielle du ciel étoilé, indépendamment de sa classe socio-culturelle, genre ou origine. Les enfants d’aujourd’hui ont-ils pu admirer la voie lactée ? Ce projet est pour moi, étroitement lié à un désir de sensibilisation des enfants à la pollution lumineuse. Le récent projet Stralink envisage d’envoyer jusqu’à 45000 satellites dans le ciel. Avec plus de satellites que d'étoiles visibles, la Terre recouverte de ces technologies perdra l'aura d'un imaginaire collectif. Quelles histoires seront racontées sous un ciel artificiel ?