« Point de transmission » est le partage d’un regard centré sur les curieuses banalités du quotidien à travers des images (dessins, photographies), mais surtout à travers un processus subjectif de manière à se déconditionner. Le projet permettra de questionner cette problématique qui revient perpétuellement dans ma démarche artistique : comment percevoir un territoire que l’on côtoie au quotidien ? En tant que plasticienne, je souhaite faire partager ma curiosité et montrer qu’il est possible de voir autrement les environnements qui nous entourent. Il s’agit pour cela d’opérer à une conversion d’esprit afin de donner un sens aux choses immatérielles.
Face à une société voulant refléter une image de la perfection, nous ressentons ce besoin de la perte, de tout ce qui ne se comptabilise pas et échappe au fantasme du chiffre. La volonté de s’ouvrir vers les choses hors de la norme et hors des formes référentielles devrait donc être inévitable. Hamish Fulton dénonce les gouvernements de ne pas s’intéresser à la véritable valeur des choses tandis que Victor Segalen s’intéresse à la notion du différent. L’homme est émerveillé par des choses en dehors, autre que lui, le conduisant à porter un questionnement sur sa personne mais également sur le monde. « Point de transmission » met l’accent sur les détails auxquels nous ne sommes pas attentif au quotidien : une plaque de rouille sur une vieille porte, un centimètre carré de macadam sur un trottoir, un mur marbré sur la façade d’une boutique, les nervures et les tâches brunes d’une feuille de platane, etc. « Point de transmission » est l’idée à la fois d’un regard différent sur le monde et d’une remise en question de soi, que l’on expérimente à travers ce qu’on peut appeler l’errance. Ce mot qui peut nous apporter une image négative, ou de la perte comme chez Gus Van Sant avec Gerry, peut au contraire nous apparaître positif comme chez Agnès Varda avec Cléo de 5 à 7. C’est ce que nous intéressera ici. Guy Debord nous propose la dérive, à travers laquelle il crée des situations au hasard des rencontres. Il crée un véritable lien avec la ville qui n’est pas seulement un fait objectif mais également un espace perçu par les habitants selon des représentations mentales, des impressions individuelles et collectives. Bien que Guy Debord est loin de s’intéresser à la dérive en campagne qu’il trouve ennuyeuse, je crois qu’au vu de ma démarche, elle peut aussi devenir un terrain aux multiples découvertes. Depuis 2011, j’expérimente l’errance comme mode d’action. Tout a commencé lors d’un atelier dirigé par l’artiste Philippe Terrier-Hermann, pendant lequel je devais réaliser une cartographie de Dieppe pour le Diep Festival 2012. J’y suis allée et j’ai marché à travers cette ville que je ne connaissais pas pendant quatre à cinq jours sans utiliser de plan existant. Toutes mes étapes étaient donc répertoriées par des petites cartes, des croquis et des écrits pour au final aboutir à une plus grande représentation de la ville au centre du format. Je donnais à voir ma vision. Deux ans plus tard, j’ai eu envie de faire un projet en prenant le contrepied du Guide du routard : « Macadam ». J’étais habitante de Besançon. Je voulais mieux connaître ce territoire tout en devenant la touriste de ma propre ville et partager ma vision au plus grand nombre. J’avais réalisé un guide — présenté au cours d’une exposition — dont chacun pouvait s’approprier, avec des interprétations graphiques de Besançon et des textes invitant à s’attarder sur les détails auxquels nous ne sommes pas attentifs en temps normal : un mur, un détail architectural, une vieille affiche… Il ne fallait pas avoir peur de s’égarer, d’improviser des chemins pour mieux redécouvrir la ville et révéler les invisibles réalités urbaines. « Point(s) de Vue » permet de poursuivre ces réflexions et consiste à créer des zooms photographiques (intégrés dans une forme circulaire) de détails que l’on peut apercevoir dans la rue, dans un jardin ou encore dans un campus universitaire. L’action pourrait être comparable à celle d’un microscope dévoilant l’imperceptible. Ces points deviennent multiples et infinis grâce à leurs lectures et interprétations possibles. Ce principe a précédemment été initié pour le projet « Macadam » mais également en 2012 à La Haye avec « Always Doing Something Interesting » où je collais déjà dans la rue les détails photographiés, zoomés et retravaillés à leur emplacement d'origine. Ce n’est seulement qu’en 2015 que je nomme le concept « Point(s) de Vue ». Enfin, une série de dessins viennent enrichir les photographies dont découlent mes errances mentales, mes fictions. Ils sont les cartographies de mondes nouveaux invitant le spectateur à en créer lui-même à son tour. Ce processus de création fut utilisé à l’occasion de deux expositions. « Point de transmission » reprendrait les grands principes de « Point(s) de Vue ». Cependant, le projet consisterait à expérimenter un nouveau territoire mais aussi de nouveaux outils et s’écarter de l’idée de narration qui découle de mes dernières séries de dessins. Il s’agirait de mettre l’accent sur un ressenti plastique de façon à pouvoir envisager d’autres manières de vivre les errances mentales. Actuellement, le dessin noir et blanc me ramène à la cartographie et au design graphique. Je joue avec les lignes, les trames. Je trace des chemins, des routes et des territoires fictifs. Je souhaite continuer d’expérimenter cette technique qui me tient à cœur mais j’estime qu’il est également primordial d’appréhender différemment mon travail, de le remettre en question de manière à chercher d’autres réponses possibles sur le plan plastique mais aussi sur le plan de la scénographie d’exposition. Il s’agira comme le projet « Point(s) de Vue » de créer en amont des zooms photographiques et de prendre des clichés du territoire d’implantation du projet — comme avec « Macadam » — de façon à identifier son contexte de création. D’autre part, j’envisage d’imaginer un ensemble de dispositifs de manière à pouvoir transmettre le processus de création aux enfants afin qu’ils puissent se l’approprier. Comment prendre conscience du quartier de l’établissement scolaire et comment y repérer des détails ? Comment garder une trace de ces détails et comment les répertorier ? Comment les lire, les interpréter ? Comment mettre en scène les créations ?
Haute-Saône
Par le(s) artiste(s)