Il s’agit d’un projet de théâtre, mené par une metteure en scène et un scénographe-plasticien; qui croise donc, dans sa préparation avec les élèves, l’art plastique et la scénographie. Mon projet est fortement lié à l’identité du territoire d’intervention, et propose de transmettre aux élèves les recherches et la préparation d’un spectacle-paysage, c’est-à-dire un spectacle de théâtre joué dans un lieu extérieur et atypique (qu’il soit monument historique, site architectural lié à l’histoire locale, paysage urbain ou péri-urbain…). La résidence du metteur en scène et du scénographe plasticien au sein de l’école sur une durée d’un mois aura pour objectifs: la découverte et l’appréhension du lieu choisi d’une part; la préparation et l’étude d’un texte théâtral choisi pour être joué sur le site, d’autre part. L’enjeu de la transmission auprès des élèves, sous forme d’interventions et d’ateliers bi-hebdomadaire, s’articulera autour de ces deux objectifs, au rythme de recherche des artistes sur place, et sera donc de deux ordres: apprendre et comprendre les caractéristiques et l’histoire d’un lieu sur son territoire par différents media d’expression (enquêtes, dessins, écritures, photographie…); et aborder ludiquement une pièce de théâtre, par la lecture et le jeu théâtral. Enfin les élèves pourront, avec les artistes, mettre en perspective le lieu étudié et le texte afférent, pour tisser les grandes lignes du spectacle-paysage.
La résidence « Création en cours » serait pour moi la première étape de travail et de recherche nécéssaire à la réalisation d’un « spectacle-paysage », qui est une forme théâtrale jouée hors-les-murs, dans un lieu choisi (monument historique, site architectural, paysage urbain ou péri-urbain) porteur d’histoire ou de sens à l’échelle locale.
Depuis quelques années, j’articule ma pratique de metteur en scène autour des enjeux de territoire et de la question du lieu de création, tant du point de vue esthétique, que politique: je suis convaincue qu’une expérience théâtrale hors du contexte habituel, bouleverse le rapport de l’artiste au public, et du public à la représentation aussi bien qu’à sa préparation. Une dialectique se met mise en place, entre le geste artistique et l’espace où il se produit. Cela ne change pas nécessairement le contenu poétique, mais radicalement le point de vue de son ordonnateur. Une telle pratique provoque nécessairement un dialogue avec des acteurs très divers d’un territoire, et ce dialogue, c’est ce que j’ai découvert en faisant, est une matière essentielle au travail de l’artiste lui-même. C’est donc d’abord par la pratique (qui a commencé quelques années avant mon passage au Théâtre National de Strasbourg), instinctive, puis poussée par la nécessité d’expliquer ce pli pris, de déplacer l’expérience théâtrale hors de ses murs habituels pour mieux l’interroger et en ouvrir des perspectives actuelles, que j’ai formulé cette conscience, ce souci, du rôle du lieu au théâtre et du théâtre comme lieu dans un territoire, dans un paysage, horizontalement espace et verticalement histoire.
Cet acte de déplacement, je l’ai nommé ou on l’a fait pour moi, théâtre-paysage, théâtre décentralisé, théâtre in situ, théâtre populaire. Je crois qu’il s’agit plus simplement d’un théâtre qui se pose la question où et pour qui. Ce qui devrait aller de soi. De fait, ces problématiques sont inscrites dans le patrimoine génétique de l’art théâtral: art du commun, du sensible partagé au présent, pour une communauté faite, éphémère plus ou moins, artificielle peu ou prou, mais concrète absolument, l’art de l’ici et maintenant qui tend la parole poétique sur un méridien de quelques heures entre le corps du public et celui de l’acteur, et qui parle toujours du et au monde. C’est toujours dans le souci de l’adresse, dans le partage d’un même monde et quel que soit le texte partagé que devraient s’articuler les préoccupations d’un metteur en scène.
La préparation, la recherche nécessaire à la création d’un spectacle-paysage, qui comprend les repérages, la découverte et l’étude du lieu choisi, les rencontres avec les locaux, et l’appréhension du lieu sous toutes ses formes, est, donc, un moment crucial du processus, qui renseigne l’artiste et le nourrit, autant qu’il prépare très localement un public à la venue d’une représentation théâtrale, dont il se sent, de fait, déjà partie prenante. Ce processus, mené par le metteur en scène et le scénographe, m’a, par le passé tellement intéressée, que j’en ai fait un spectacle documentaire, comme en miroir de la forme en extérieure. C’est que la matière et les rencontres brassées dans cette phase de recherches est tellement dense, qu’elle mérite d’être partagée, ouverte, racontée. C’est cette étape de travail que je souhaiterais transmettre aux élèves lors de la résidence « Création en cours », en les intégrant pleinement au processus de recherche, d’abord dans la découverte et l’appréhension d’un lieu proche d’eux sur leur territoire, et une enquête menée sur lui; ensuite par la préparation active et ludique du texte théâtral choisi pour être joué dans ce lieu. Une telle démarche dépasse le cadre habituel et connu du théâtre en salle, en le reliant fortement à une réalité géographique et historique propre au territoire d’intervention. J’espère qu’une telle démarche sensibilisera les élèves -et futur jeune public- au théâtre par un moyen original et profondément ancré dans une réalité qu’ils partagent de fait: un lieu sur leur territoire, mise en perspective par un texte de théâtre. Par ailleurs je crois profondément qu’une telle démarche transforme le regard des élèves sur leur environnement proche, sur l’histoire des lieux qu’ils habitent, en proposant une approche ludique et original d’un patrimoine architectural ou d’un paysage urbain.
Dans la mesure où mon projet articule un projet théâtral à un lieu choisi, le choix du lieu et du texte ne peuvent se faire définitivement qu’une fois l’école ou le collège affecté. J’ai cependant plusieurs idées et projets, qui justifient mes préférences d’affectation de département.
Le premier projet est la préparation d’un spectacle-paysage sur le texte « Ici et ailleurs », (Alna éditeur, 2014) de l’auteure contemporain Viviane Point. Ce texte, qui n’a jamais été mis en scène, a fait l’objet d’une première lecture au sein du laboratoire théâtral que j’animais en 2012, et m’a tout de suite plu. C’est un texte onirique mélangeant narration, poésie et dialogues, qui est l’histoire à consonances écologiques, du destin d’un couple parti vivre en Amazonie. Le paysage indiqué est donc la lisière de la forêt amazonienne. Les thèmes politiques d’actualité que sont le métissage et les origines ethniques d’une part, et la question écologique d’autre part sont traités avec intelligence, et seraient à mes yeux un support idéal à la transmission et à la discussion avec des élèves guyanais. De plus, la pièce est en elle-même une pièce-paysage, puisque le « décor » naturel qu’est la forêt amazonienne agit comme un personnage à part entière, posant par sa présence, toutes les questions relatives à son histoire et à son exploitation par l’homme. Les questions d’identité, dont l’intrigue est tissée, sont quant à elles très pertinentes et passionnantes à étudier avec les élèves, surtout pour un metteur en scène de la métropole. En outre, formellement, la pièce « Ici et ailleurs » présente deux types d’expression: le dialogue théâtral d’une part, et la narration de l’autre. Ce deuxième type, rare au théâtre, m’intéresse particulièrement parce qu’il renoue avec une certaine tradition du conte, et informe différemment le rôle de la parole au théâtre, son pouvoir performatif unique, son « pouvoir magique », qui fait être par le dire. La narration serait un thème d’exploration avec les élèves, et même l’objet d’un petit atelier d’écriture mené avec eux.
(NB: j’ai eu la chance de jouer un spectacle pour enfants que j’avais adapté et mis en scène en Guyane (au théâtre de Macouria, en 2012), et cette expérience formidable me fait penser qu’aujourd’hui, par le truchement de l’art et a fortiori du théâtre, les liens avec l’Outremer et les problématiques identitaires soulevées sont un terreau fertile d’explorations et de questionnements.)
Le second projet, sur le territoire du théâtre où je suis artiste associée, la Scène Nationale de Chalon sur Saone, serait par exemple l’occasion de mettre en perspective un ancien site de production minière -dont la région est riche- et les « Nouvelles noires », d’Emile Zola. Le patrimoine industriel qui faisait hier la richesse de la région, présente aujourd’hui les vestiges d’une histoire ouvrière que j’ai eu l’occasion de découvrir en travaillant sur le Port Nord de Chalon sur Saone, et qui a laissé des traces profondes sur le territoire. Choisir un texte du répertoire classique pour éclairer cette histoire, serait comme une écriture en palimpseste. Le naturalisme de Zola et le génie de son écriture dans la description de la condition ouvrière, serait un médium idéal à la transmission de l’histoire aux élèves. Par ailleurs la forme de la nouvelle, courte, incisive, efficace, est un objet d’étude passionnant du point de vue de la narration théâtrale.
Le troisième projet, sur le territoire de l’Ecole Nationale Supérieure d’Art Dramatique du Théâtre National de Strasbourg, dont je suis issue, explorerait les liens d’un site historique de la seconde guerre mondiale, avec le présent d’un territoire, la littérature franco-allemande ne manque pas à ce sujet; ou bien -en fonction de la localisation- questionnerait l’identité rhénane par l’étude de « La nef des fous » de Sébastien Brant, ce poème fleuve et fou du XVe siècle.
Nièvre
Par le(s) artiste(s)