Explorer la musique à la Résidence Bethanie à Lille

Explorer la musique à la Résidence Bethanie à Lille

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Odeurs de barbecue et système son remplissent la cour de la résidence Béthanie ce 4 septembre 2020. Sous les enceintes, les feuilles des plantes remuent au rythme des basses. Des panneaux d’affichage retracent, en photo, la résidence de Maxime Duhamel, Sébastien Faszczowy et William Tournier au sein du de la résidence pendant trois semaines. Ce soir-là, les deux musiciens restituaient aux jeunes résidents des paroles partagées durant leurs ateliers ; les extraits sonores étaient suivis d’un moment de création libre avec des instruments – parfois faits maison – mis à disposition.

« La durée de résidence pour les jeunes est limitée à trois ans ici. Notre projet c’est d’outiller les jeunes à habiter un territoire, leur donner envie de poser leur valise. » détaille Menouar Malki, le directeur de la résidence Béthanie, située à quelques minutes de la gare de Lille-Flandres, en pointant du doigt des photos d’archives du bâtiment datant des années vingt. Avant d’être un foyer pour jeunes travailleurs, Béthanie était déjà un foyer d’accueil pour jeunes filles : « dans le cadre de l’exode rural, des propriétaires industriels voulaient construire un foyer pour les jeunes filles qui venaient travailler dans les ateliers de filature ou les bureaux. Béthanie était géré par une congrégation religieuse jusqu’en 1989. Une grande réhabilitation a eu lieu en 2005 et le foyer est devenu mixte. » Aujourd’hui, la résidence propose cent vingt logements à des jeunes de seize à trente ans. « Nos critères de sélection se font sur la distance, les premiers CDD sont prioritaires, on regarde aussi les revenus évidemment… Mais il y a une réelle solidarité qui se crée ici. Les jeunes qui entrent en CDI et qui se plantent, il faut leur redonner du courage. Et le foyer, la vie ensemble sert aussi à ça » poursuit le directeur en énumérant les débats, les ateliers théâtre, les repas autour de la culture espagnole ou encore le « voyage en Mongolie » avec l’un des résidents originaires de Mongolie, en stage à Lille avec l’objectif de ramener des vélos électriques dans les steppes de son pays d’origine.

Aujourd’hui, le réfectoire de l’époque du foyer pour jeunes filles a troqué son austérité pour devenir la salle de jeux des jeunes travailleurs, billard et babyfoot au centre et de nombreuses photos des évènements collectifs de la résidence accrochées fièrement aux murs. C’est dans cette salle et dans une autre, à l’étage, que les musiciens Maxime Duhamel et Sébastien Faszczowy de la Compagnie Tisseurs d’Ondes ainsi que le comédien William Tournier ont animé des ateliers autour de la parole et de la musique. « Nous travaillons sur Mycélium, une fiction sonore qui se déroulera en 2030, dans un régime ultra-autoritaire en France. » décrit Maxime.

Lorsqu’il prend la micro, Maxime résume en quelques mots leurs intentions : « on a voulu savoir comment vous vous sentez dans ce monde, militant ou non. » 

Après une première semaine de présentation de leur projet matin et après-midi à Béthanie, Maxime, Sébastien et William avaient installés leurs instruments de musique et animaient leurs ateliers dans une pièce à l’étage ou dans la salle de jeux, plusieurs soirs par semaine. Rien d’obligatoire. Une porte grande ouverte à tous ceux qui souhaitaient s’essayer à la musique ou se raconter.  Mais pour susciter une pratique et un échange régulier, les artistes avouent avoir manqué de temps : « C’était trop court trois semaines… Nous sommes arrivés dans une période de chassé-croisé des vacances et puis la plupart des habitants sont travailleurs, ils rentrent tard à la résidence. Pour avoir le temps de les mobiliser et de créer un lien, si ce n’est de la confiance avec nous, il nous faudrait des mois. Mais un noyau d’une douzaine de résidents sont quand même venus participer plusieurs fois. » La création musicale s’est faite au gré de jam-session ou de création sous contraintes type « tempo rapide », « chanson triste », « notes aigues » piochées dans un jeu de cartes.

Quatre cents minutes de son ont été récoltées sur ces trois semaines de présence.  Un extrait en musique est d’abord présenté à l’audience. Dix minutes travaillées et assemblées par les artistes, mélangeant des créations de Sébastien, Maxime mais aussi de résidents comme Charity ou Victorya au sitar ou encore de Victor et de l’éducateur de Béthanie, Maxime, à la guitare. On perçoit parfois des inspirations musicales tirées par exemple d’Hotel California des Eagles.

Puis, c’est avec des mots que Maxime, William ou encore Sandrine, de la coopérative d’éducation populaire politique L’Etincelle qui s’ancrera au foyer cette année, expriment ce qu’ils retiennent, ce qu’ils dégagent ou ce qu’il s’est dégagé de cette résidence : le premier évoque « la fraction des mythes : celui de la démocratie, de la police, d’un état qui prend soin alors que des carrière de hauts-fonctionnaires se jouent », « le chemin de l’émancipation, la nécessité de sortir des bulles sociales, l’importance des lieux ». Puis Sandrine, à qui on a « commandé un discours sur l’éducation populaire », se lance dans son texte sur une musique de Maxime : « Nous ne prétendons éduquer personne sans nous-même nous éduquer. Personne n’éduque personne, les gens s’émancipent. […] Du cadre naît la liberté dirons-nous mais seulement si nous avons participé à la construction du cadre. »  Enfin c’est à William de s’emparer du micro : il revient sur les thèmes abordés, laissant imaginer les discussions engendrées. Le foyer. « Là d’où on est ? Où on va ? Et qui nous impose les normes ? Le père, l’éducateur, le directeur… et nous ? » L’emploi. « Le non-sens, le désir de bien faire, les conditions de merde. La cadence calculée pour pas avoir le temps de péter. Trimer pour avoir le droit d’exister. » L’amour. « C’est quoi ton genre ? C’est quoi un genre ? C’est quoi tomber amoureux ? C’est quoi l’ami, c’est qui l’amante ? » L’école. « Le harcèlement, l’humiliation, la norme, l’orientation. » L’engagement. « La vie collective, l’absurdité des grands discours, et nous… on est où ? Déjà mener ma vie, ce serait pas mal ? Sortir de soi. Se rappeler qu’un autre monde est possible. »

Les applaudissements retentissent à la fin de chaque intervention. En première ligne, Victorya, résidente depuis janvier à Béthanie, originaire de Tourcoing et coiffeuse à domicile à son compte, qui vient au micro pour remercier les musiciens. Pour cette jeune femme trans de vingt-six ans, très engagée dans la vie collective de la résidence, ces ateliers ont « contribué à créer du lien » : « Avant chacun était plus dans sa bulle, enfermé dans sa chambre…  La musique ça rassemble et ça rend joyeux ! Et là, on créait de la musique à partir de rien.  Et on a mis nos histoires sur cette musique. Ils nous ont mis très à l’aise alors que ce n’était pas évident de se dévoiler. J’ai jamais eu ça dans ma vie ! » Attablé à côté d’elle, Anthony, « Vingt-trois ans dans pas longtemps » et arrivé pendant le confinement à Béthanie, a été attiré par le djembé : « ça permet de bouger du peu de mètre-carré de ma chambre… » Morgane, vingt ans, était, elle, moins attirée par les instruments que par les ateliers de parole : « J’ai beaucoup aimé le moment où on a écrit nos petites histoires de vie en chronologie.  C’était vraiment un moment de partage mais aussi des occasions où on apprenait à se connaître en découvrant les autres. J’aimerais bien qu’il y ait d’autres moments comme ça dans la résidence ! Avant cet atelier, la résidence ne bougeait plus trop… Et il n’y a qu’un animateur pour toute la résidence… » souffle-t-elle.

Il s’agit de Maxime, présent toute la soirée, s’essayant lui aussi à la sitar ou guitare en main : « La musique est un monde fermé. C’est des machines à quatre cents euros, ce qui n’est pas forcément évident en termes d’accessibilité quand on se trouve dans une certaine précarité. Certains cherchaient même des raisons du style “mais pourquoi ils sont là ? On paie pour ça ?” » détaille-t-il en souriant. « La démarche n’est pas la même que de dire aux jeunes : “tu devrais aller au théâtre du Nord, tu pourrais participer, tu verras, c’est super.” Là, l’atelier est venu à eux, chez eux. Et c’est super de voir la curiosité que ces ateliers ont suscité, justement parce que la démarche n’est pas la même. Même si avec ces jeunes il faut du temps pour que la confiance naisse, ça a créé des choses chez certains ! » Comme pour Y., l’un des résidents, qui a décidé de s’acheter un instrument de musique, accompagné de Maxime pour les conseils. C’est avec un grand sourire fier qu’il pose avec sa nouvelle guitare sur les panneaux d’affichage de la Cour. 

La résidence en images