Le point de départ de ce projet est la découverte de gravures et peintures de feux d’artifices — autant de représentations qui figent ces spectacles célébrés il y a parfois plusieurs siècles.
N'étant pas artificier, je me demande quelles formes de spectacle pourraient émerger si nous tentions de réactiver et d’animer ces feux d’artifice sans la moindre pyrotechnie ? À travers le dessin, les gestes, la lumière et la fabrication d’une panoplie de projectiles volatiles, nous tenterons d'incarner ces feux d’artifice.
Il s'agira alors d'imaginer avec la classe une succession de tableaux vivants et de mises en scène en interprétant ces représentations comme des partitions.
Artifice sans feu est une recherche en collectif sur le spectaculaire avec peu de moyens.
Qu’est-ce qu’un feu d’artifice sinon une succession de tableaux éphémères inscrits dans l’air ?
L’artificier-chimiste A.Lamarre écrit en 1878 dans son Nouveau manuel de l’Artificier :
“Un feu d’artifice, par sa disposition, représente assez bien une soirée théâtrale. Il y a lever de rideau, actes, intermèdes et apothéose ; on les appelle signal, coups de feu, intermèdes, bouquet et embrasement.”
L’histoire de l’art offre un certain panel de représentations de feux d’artifice à travers la peinture et la gravure. Ces images figent pour l’éternité ces célébrations éphémères, où lignes et couleurs s’effacent aussi vite qu’elles apparaissent.
La tentative presque utopique du projet Artifice sans feu est d’animer ces images en remplaçant toute pyrotechnie par les mouvements combinés des enfants et de projectiles volatiles, en changeant le ciel nocturne par l’air ambiant d’une pièce.
En prenant comme point de départ des représentations de feux d’artifice nous composerons avec la classe une série de nouveaux tableaux vivants.
À travers ce projet, je m’engage dans un véritable travail de traduction et d’interprétation. Dans le passage de l’image à la performance, nous porterons une grande attention à retranscrire la perception de l’élan, du mouvement et de l’émotion suggérée par l’œuvre.
Dans Art incendiaire, Kévin Salatino étudie “les langages formels développés par les artistes afin de saisir le volatile, le fugace, l’éphémère” à l’œuvre dans les représentations de feux d’artifice. À travers ce projet nous tenterons de matérialiser et de mettre en scène ces langages formels.
Dans un premier temps, je commencerai des recherches iconographiques dans la bibliothèque du Musée des Arts Décoratifs, de l’INHA et au département des Arts du Spectacle de la BNF, afin de rassembler un corpus d’images et de documents d'archives.
Avec les enfants, nous travaillerons ensuite à partir de leurs souvenirs et de leurs sensations de feux d’artifice, à leur retranscription par le dessin puis par le corps. Pour cette partie, je souhaite faire intervenir les performeur.se.s qui questionnent la pratique du mime et de la danse, avec qui j’ai l’habitude de travailler. Nous découvrirons ensemble par exemple que pour représenter un spectacle de feu il faut paradoxalement s’intéresser à des phénomènes liquides comme la pluie ou l’écoulement d’une fontaine.
Il s’agira ensuite de constituer une panoplie de projectiles volatiles: éléments sonores et colorés qui traduiront les lignes, l’élan et l’énergie des feux d’artifice. Cette étape d’expérimentation avec des surfaces légères et mobiles, des matières phosphorescentes ou réfléchissantes, nous aidera à imaginer accessoires et instruments à porter ou à lancer. Ce temps permettra également de développer un rapport sensible à l’air et une attention particulière aux différents mouvements qu’il crée.
Pour incarner ces feux d’artifice, nous composerons des tableaux vivants d’après les images choisies. Il sera nécessaire de transformer l’espace de travail de l’école (préau, cour de récréation ou gymnase) pour définir un cadre, un fond, une scénographie.
Un travail d’archive vidéo et photographique des étapes de recherches de ces tableaux vivants me paraît essentiel pour ce projet. Ces vidéos, décomposées en succession d’images à la manière des chronophotographies d’Étienne-Jules Marey, me permettront de réaliser une édition.
La création d’un spectacle entier semble trop dense pour la temporalité de Création en cours, la fin de cette résidence sera l'occasion de présenter une première étape de travail, une création en cours. Je serai évidemment enthousiaste de prolonger les découvertes et trouvailles que nous ferons dans des performances ou des spectacles à venir.
Toutes ces étapes seront ponctuées de références présentées aux enfants comme La Danse serpentine de la chorégraphe américaine Loïe Fuller, les spectacles composés de mobiles d’Alexander Calder, les scénographies et performances d’Oskar Schlemmer et Xanti Schawinsky lors de leur passage au Bauhaus, ou encore les instruments aériens créés lors de l'événement Making Air Visible par le designer Bruno Munari.
Le projet Artifice sans feu est dans la lignée des spectacles de curiosités du 19ème siècle — formes théâtrales populaires où se mêlent magie, illusions et phénomènes physiques. On pouvait sentir dans ces spectacles une volonté très forte d’animer des choses inertes, et ainsi de jouer avec l’imaginaire du public. C’est dans ce sens que mon travail se dirige, et ce projet me permettra de franchir une nouvelle étape dans cette direction.
À travers les références et les étapes qui composent ce projet, j'aimerais partager avec les enfants une vision joyeuse de la création, faite d’allers-retours entre expérimentation, observation et émerveillement.