Beauté Gâchée vise à faire voir aux gens la beauté et l’utilité qui se cachent dans les déchets de notre consommation. En apprenant à regarder différemment ces rebus, on s’ouvre à deux changements de perspective. On apprend d’abord à consommer différemment - en transformant, réparant, récupérant, on se pose la question du besoin réel de la consommation et de la valeur de la fabrication. Mais c’est aussi une tolérance de jugement qui se dessine dans un tel projet, en regardant les déchets matériels d’une nouvelle manière, c’est un changement de regard général sur la beauté et la valeur des choses qui s’opère. En tant que designers et architectes, la recherche de nouveaux matériaux est une base essentielle de travail. Décortiquer leurs caractéristiques, pousser aux extrêmes leur élasticité, identifier leur désir de transformation ! Beauté Gâchée s’inscrit naturellement dans cette démarche, en cherchant les potentiels d’innovation dans ce qui est à nos pieds : le rebus et le déchet.
Notre projet est composé de trois lignes directrices articulées entre elles : la recherche (qui se traduit par un projet de Manifeste Matériologiste écrit), l’expérimentation et la fabrication (fabrication de matériaux recyclés que l’on utilise dans nos projets de mobilier, et d’une machine à recycler le plastique) ; et la transmission (phase de richesse d’échange et de partage qui alimente à son tour les deux autres lignes directrices de Beauté Gâchée). LA RECHERCHE THEORIQUE ET L’ECRITURE MANIFESTE Notre volonté est de découvrir et de rassembler le maximum de connaissances et de projets existants - menés par des designers, des architectes, des entreprises, des artistes - autour de la question des matériaux recyclés de manières accessibles au grand public. L’idée est de rédiger pendant ces six mois un manifeste qui servirait de socle à notre projet. Il constituerait une base de donnée ouverte, ainsi qu’une plateforme d’échange pour tous les acteurs de ce mouvement. Dans ce manifeste, c’est autant la dimension du recyclage, que celle du partage des techniques qui permettent de recycler et de créer ces nouveaux matériaux qui nous intéresse. C’est une première étape pour la réappropriation de la chaine de production et de fabrication à échelle ultra locale, par le maximum de personnes. Ce manifeste s’inscrit dans la même démarche que celle des Fablabs, espace pluridisciplinaire ouverts aux échanges et à la fabrication en open source. La découverte du site materiO’ en 2016 - base de donnée en ligne répertoriant tous les matériaux existant sur le marché – nous a conforté dans l’idée qu’il fallait nommer ce courant de fabricants de matériaux recyclés. Nous avons choisi de nommer les personnes le constituant les matériologues œuvrant dans le courant matériologiste. La science qui en découlerait serait donc la matériologie. Beauté Gâchée incarnera notre projet matériologiste le temps de la résidence. L’EXPERIMENTATION PAR LA FABRICATION En parallèle, nous poursuivrons notre travail de fabrication de mobilier et de matériaux à partir de ce que l’on récupère. Le temps de résidence nous permettra de fabriquer tous ces matériaux que les obligations du quotidien ne nous laisse pas le temps de développer et qui sont issus de notre imaginaire de travail en atelier depuis un an. Les matériaux les plus inspirants à nos yeux sont petit à petit devenu la Chute et le Déchet. Toutes ces particules et ces morceaux qui restent au sol après la découpe, ou sur le bitume après un déménagement. Cette quantité incroyable de choses jetées et donc automatiquement oubliées de la société. C’est elle qui nous donne jour après jour des idées de combinaisons et d’imbrication, de fabrication de nouvelles surfaces et supports : terrazzo de gravats de chantier, tissage de fils de bouteilles plastique, coussin de sciure de bois, marbre de déchet de chantier (inspiré par le marbre d’ici de Stefan Shankland), baubuche d’aggloméré, marqueterie de contreplaqué, quincaillerie en plastique recyclé, plateaux de table basse en marbre trouvés ou table de travail faite d’un empilement de tasseaux de chantier récupérés. L’idée de notre design est de les réintégrer au sein de nos pièces de mobilier, de les élever au statut de pièce unique. Afin de compléter nos expérimentations faites de récupération de matériaux, nous avons l’intention de fabriquer la machine à recycler le plastique de Dave Hakkens. Cette machine, relativement simple à réaliser, permet de broyer tout types de plastiques et de les fondre entre eux pour arriver à un renouveau de la matière, malléable et contrôlable à l’échelle du particulier. Notre projet est de fabriquer notre propre quincaillerie en plastique recyclé, ce qui nous permettrait d’atteindre un objectif presque total de récupération et de transformation des matériaux dans nos projets. Le plastique reste aujourd’hui un des matériaux les plus présents dans notre quotidien, et donc dans ce que l’on rejette. C’est pour cela qu’il est un de nos axes de recherche et d’expérimentation. La fabrication entrainant la fabrication, nous sommes convaincues de la prolifération d’idées et de techniques qu’un temps d’expérimentation et de recherche par la main nous procurerait. C’est l’essence de notre collaboration et de notre travail, nous voulons constituer une matériauthèque à fabriquer soi-même, une bibliothèque de techniques à partager, une vitrine de la Chute et du Déchet, de la Beauté Gâchée. LA TRANSMISSION ET LE PARTAGE De ces deux lignes de projet découle la troisième : le temps de transmission et de partage. L’expérience du workshop que nous avons organisé à l’ENSA Paris Malaquais nous a fait réaliser deux choses. La première est l’importance du dialogue entre générations. Durant cette semaine nous avons pu assister à des connexions entre les participants, à des remises en questions mutuelles et à des productions communes. Nous avons également découvert à quel point cette semaine nous a fait évoluer et nous a rendues productives et motivées. Comment le fait de donner et de partager nous a fait apprendre sur notre collaboration et nous a influencé dans notre démarche. Le développement de notre projet s’accroit donc à ce moment là et arrive à son ambition ultime : être transmis et communiqué. Nous ne tenons pas un savoir absolu, mais l’expérience du partage le rend important et proliférant. Le rend commun. L’idée est par là de développer une manière partagée de regarder le quotidien différemment, d’apprécier autrement ce qu’on oublie, d’être actifs par rapport à ce qui nous entoure. De faire société à travers la fabrication et la création, faire société en révélant notre Beauté Gâchée. Le temps de transmission proposé par Création en Cours nous a attiré pour plusieurs raisons, entre autre la diversité des lieux de transmission, la jeunesse du public visé et bien sur son éloignement de l’offre culturelle. C’est une magnifique opportunité de réfléchir et de créer autour de ce sujet avec un public de cet âge là. L’imaginaire collectif dans une classe de CM2 peut parfois – souvent ? - dépasser celle d’une promotion en école d’architecture ! Habituées à travailler dans un milieu urbain et d’initiés, nous sommes curieuses de découvrir vers quoi ces jours de transmission peuvent mener, et convaincues de l’importance d’évoquer et de partager ces problématiques à tous les âges et dans tous les milieux, géographiques, culturels et sociaux. Les mers et les océans subissent une pollution agressive et destructrice, où aucun système global n’a encore été mis en place afin d’y remédier. De plus en plus d’initiatives naissent à ce sujet comme la proposition d’installation de filets récupérant les îles de déchets plastiques lorsqu’elles se forment à la conjoncture des courants ou la fabrication de vêtements faits essentiellement de fibres de plastiques récupérées dans les mers. La mer continue à être utilisée comme une déchetterie, nous pensons qu’il est intéressant de réfléchir à ce problème avec les premiers concernés et touchés, les habitants des côtes. Nous pensons que la machine à recycler le plastique que nous planifions de fabriquer serait un outil parfait pour ces ateliers de transmission.
Vaucluse
Par le(s) artiste(s)