Conter les moutons

"Le cas des moutons qui transportent des semences de pâturage en pâturage est bien connu : ce phénomène a donné lieu, dans le sud de la France, a l'apparition d'une véritable flore des routes de la transhumance. Même après leur mort, les moutons sont capables de véhiculer des semences et de constituer ce que l'on a appelé la flore des prés à laine" *

Issue d'une formation en design et en sciences humaines, ma pratique est guidée par des questions et des explorations spécifiques au site. Je m'intéresse aux attaches, aux repères et aux interactions que nous établissons avec notre environnement.

Ayant une fascination particulière pour les célébrations en tant qu'expression du paysage que nous habitons et des valeurs d'une société, j'ai voyagé dans le sud de la France pour en savoir plus sur le festival de la transhumance des moutons. C'est ainsi que j'ai commencé à m'intéresser aux pratiques agricoles traditionnelles des moutons, à l'héritage de la laine et aux problèmes contemporains auxquels sont confrontés les éleveurs de moutons. 

Ma proposition pour Création en cours est une continuation de cette recherche qui explore les façons dont nous pouvons comprendre un territoire à travers les êtres humains et non-humains. J'aimerais me concentrer sur la documentation formelle de ces rencontres à travers différents supports tels que des enregistrements, des dessins et des photographies. Cela inclut une approche multidisciplinaire, l'échanges entre des personnes d'autres domaines - éleveurs, botanistes, ingénieurs, artisans - pour mieux comprendre le territoire et ses qualités uniques qui sont liées aux moutons.

Parallèlement à cela, j'explorerai les qualités matérielles de la laine comme expression physique de mes recherches. Les différentes races de moutons racontent une histoire de la région où elles se trouvent et leur toison raconte une histoire des changements subis dans l'élevage des moutons à travers chaque génération. Pendant la durée de la résidence, j'aimerais explorer plus particulièrement la biodiversité de la région, la teinture expérimentale des plantes, les techniques artisanales de la laine et la documentation de mes recherches.

En classe, j'aimerais mener des processus de recherche dirigés par les enfants. La regrettée Etel Adnan a écrit que "les enfants sont des philosophes et, souvent, de grands métaphysiciens". Les ateliers seront l'occasion de représenter un récit multigénérationnel du paysage, tandis que nous réfléchirons, discuterons et poserons de nouvelles questions collectivement. 

Ces interrogations seront nourries par des sorties sur le territoire et des temps de transmission de personnes liées à l'élevage ovin. Il peut s'agir d'un conteur qui travaille avec le folklore et les légendes locales, ou d'un berger qui passe l'été avec un troupeau de moutons.

Ensuite, nous réaliserons un ensemble de créations matérielles à partir de la laine afin de susciter de nouvelles interrogations sur le paysage en nous concentrant sur les possibilités de formes et de couleurs qui peuvent être utilisées avec cette fibre.

Enfin, si la saison le permet, j'aimerais organiser une rencontre avec l'animal, observer la tonte d'un mouton, le tri de la laine, ou la visite d'une usine de transformation de cette matière.

Tout au long de la résidence, la documentation et la création d'une archive de notre travail ensemble seront une composante cruciale de ce projet. Nous explorerons et documenterons la mémoire changeante d'un territoire et l'imagination du paysage à travers des photographies, des enregistrements et des dessins

* La Revue de Paris, 1953