« Des petits trajets qui parlent de grands voyages » est une proposition d’écriture et de recherche pluridisciplinaire, mêlant une approche d’écriture textuelle, à une approche visuelle et scénographique. Nous souhaitons faire de ce temps de résidence un laboratoire de recherche sur la transformation du réel, en utilisant l’archive comme matériau de création. Sur la ligne de départ et au cœur de ce projet, nous avons deux voyageurs aux itinéraires de vie peu ordinaires : Maurice Gandolfo le grand-père de Camille, coureur de cyclocross et Marguerite Allisio ma grande tante, couturière. Nous suivrons leurs parcours pour interroger comment le voyage a transformé leur regard sur une époque, une histoire, des territoires, des frontières. Nous proposerons aux élèves de nous rejoindre dans ce processus de recherche en explorant la question de la trace, de la biographie, de l’interview, du document historique, et de comment les petites histoires se mêlent à la grande Histoire.
Mon travail plastique, et performatif, explore depuis plusieurs années la question du voyage, la relation à l’autre, le mouvement et le paysage. L’atelier Andaere est un laboratoire pour mettre en perspective ces questionnements en les confrontant à d’autres écritures par un travail de recherche et de création collective. Camille Nauffray, issue du champs de la littérature, de la mise en scène et de l’écriture scénique pour le théâtre se joint à moi pour l’écriture et la recherche de la création « Des petits trajets qui parlent de grands voyages ».
En 2012, au cours d’un voyage d’études où je me rends en Arménie, je décide aussi de rendre visite à une partie de ma famille en Georgie. C’est là-bas que je recueille l’histoire qui est à l’origine de ce projet, un récit que je ne connais alors que partiellement : le départ par amour de Marguerite depuis Marseille pour rejoindre dans l’après guerre la Géorgie soviétique. C’est une histoire contée, racontée par ma grand-mère, un souvenir d’enfance. Lors de ce voyage, on me transmet un carnet, ce carnet est écrit par ma grande tante, Marguerite Allisio. Elle y raconte ce voyage vers la Georgie, puis la déportation vers le Kazakhstan, des années qui ont bouleversé sa vie à une époque où le monde occidental est en plein bouleversement géopolitique.
Marguerite est témoin d’une époque.
Tout comme Maurice, le grand-père de Camille. Lui aussi voyage. il est sur son vélo, sportif de haut niveau en cyclo cross, il parcourt l'Europe. Dans le peloton toutes les langues se mêlent, il parcourt les cols, et traverse les frontières. Il est vice champion du monde de cyclo-cross, champion d’Auvergne…
Nous avons toutes les deux recueilli des récits dont nous sommes aujourd’hui les dépositaires, et chacune est en possession d’archives, publiques pour Maurice Gandolfo, familiales pour Marguerite Allisio. Aujourd’hui, nous ressentons le besoin de les transmettre car nous sentons qu’il y a quelque chose d’extraordinaire dans les destinées de ces héros ordinaires.
A priori rien ne les prédestinent à se rencontrer dans une forme théâtrale mais nous pressentons que leurs expériences marquantes du voyage dans les années après la guerre les réunit. Chacun a son outil pour les accompagner dans cette itinérance pleine d’exploits. La pédale les fait avancer : celle du vélo pour Maurice, celle de la machine à coudre pour Marguerite.
La résidence au sein du dispositif en cours sera pour nous un espace de recherche pour la création et l’écriture d’une forme hybride entre théâtre documentaire et scénographie performative. L’exploration entre archive et fiction sera l’objet de notre résidence et le processus de transformation pour passer d’un statut à l’autre est au cœur de notre recherche.
Nous avons avec nous divers matériaux trouvés dans des archives publiques et dans nos archives familiales: un carnet écrit par Marguerite, des vidéos et photographies d’époque de Maurice ainsi que des articles de journaux. Nous sommes également en possession d’un album photo anonyme regroupant de nombreuses photographies en noir et blanc d’un groupe de cyclistes parcourant la France, contenant des paysages de montagnes qui pourraient rappeler à Maurice les cols franchis, et à Marguerite les montagnes et les routes parcourues durant le voyage de déportation de la Géorgie au Kazakhstan. Maurice le cyclo-coureur, et Nelly la fille de Marguerite sont encore en vie et nous envisageons de recueillir leurs témoignages.
Nous souhaitons dans un premier temps au sein de cette résidence développer et organiser la documentation par un travail de recherches, d’interviews, de mise en commun des archives, de mise en perspective historique de ces documents. Cette étape de documentation sera le moment propice pour se mettre en position de recueillir les témoignages.
Dans un second temps nous souhaitons interroger des formes d’écriture hybride mêlant archive, fiction, écriture et scénographie. Nous sculpterons, manipulerons, écrirons à partir des matériaux rassemblés lors de la phase de documentation. Il est important pour nous de prendre cette étape comme un laboratoire afin de chercher des formes, d’interroger l’aspect théâtral, d’interroger l’aspect scénographique, d’exposition d’images animées, de récits écrits, oraux, filmés, enregistrés… Cette étape nous permettra de chercher une forme en adéquation avec nos recherches et nos propos. Nous cherchons à être tout comme nos deux protagonistes dans des formes mouvantes dans un équilibre instable, pour jouer du réel et de la fiction, pour construire et partager un récit. Nous nous positionnons comme des chercheuses mettant en place un protocole d’expérimentation pour faire dialoguer ces deux personnages et leur appréhension du territoire.
En parallèle de ces deux temps, nous aurons des étapes de transmission, durant lesquelles nous proposerons aux élèves d’adopter notre positionnement, d’entamer une démarche de récolte, de recherche dans les archives de la ville ou personnelles et d’interroger leur rapport au lieu, au paysage et au déplacement. Nous aborderons également le rapport à l’écriture, à la transmission et à l’archivage de leur propre parcours de vie.
A partir de cette matière, ils chercheront à nos côtés le moyen de transformer, partager, médiatiser ces multiples histoires. Nous mettrons l’accent sur le caractère pluridisciplinaire, hybride de la création par une approche théâtrale, plastique et contextuelle.
Pour cela nous partagerons nos références artistiques, ce qui nous nourrit, nous inspire : travaux d’artistes, émission de radio, court-métrage, documentaire, film long métrage, tableaux…
Cantal
Par le(s) artiste(s)