Marine Zonca étudie la capacité humaine à s'extérioriser dans les objets. Jamais comme aujourd’hui, la mémoire, l’affect, la parole, autant de dimensions du sujet, n’avaient été véhiculées par l’objet.
À partir de sculptures modulables et articulées, adaptées aux enfants, le projet Je est un Autre propose aux enfants d’animer les sculptures avec des techniques d’animation.
Le projet mènera à un film où les sculptures parlent, bougent et s’animent. Entre le rêve du robot et l’objet prothèse, la sculpture, dans sa proximité avec l’objet et la figure humaine, devient le lieu où expérimenter l’expression du sujet.
Entre une approche de la sculpture comme un jeu de construction et de déconstruction et la découverte des technologies qui permettent la magie de l’animation des objets, Je est un Autre est l’exploration de l’expression de nous-même via l’Autre de l’objet, à la fois jouet, machine et oeuvre d’art.
Je souhaite réaliser un projet ébauché en 2018 où je donne la parole et le mouvement à mes sculptures. Ce projet est un rêve, celui de voir les sculptures se mouvoir et parler. Il s’inscrit dans une réflexion sur la figure humaine entre statuaire et automate, rêve de robotique, déshumanisation, machine parlante, animisme contemporain... Au delà du rêve, ce projet constitue une étape dans ma pratique car il assume mes sculptures comme des objets plus seulement limités à leur présence dans une salle d’exposition mais comme des objets qui véhiculent une parole, des gestes, s’animent par l’usage que l’on en fait.
Le projet a plusieurs destinations : un film, une installation de sculpture parlante et une série de photo de manipulation des sculptures.
Création en cours est l’occasion inédite de réaliser ce projet. En effet travailler avec une classe me permettra de confier le mouvement et la parole des sculptures aux élèves dans le cadre du jeu que seuls les enfants maîtrisent si bien, pour me permettre de prendre la caméra et l’appareil photo.
De plus ma pratique se prête très bien à une collaboration avec les enfants car elle repose sur la manipulation, l’assemblage et la figure humaine. Mes sculptures attirent les enfants. Elles sont des personnages très attractifs au toucher et à la préhension. Je voudrais motiver chez les enfants leur capacité à recruter le réel pour les besoins de l’imagination. Enfin je voudrais partager avec eux une forme d’animisme encore présent chez les enfants où absolument tout peut être animé, de la peluche à la nature. La technologie qui donne la voix à des machines est à la fois une magie et une manipulation. J’aimerais leur révéler les trucages des technologies qui peuvent animer un objet (donner la voix, stop motion, dispositif médiatique) pour que de spectateurs ils deviennent magiciens.
Mon projet repose sur deux axes. Le premier est une approche de la sculpture comme un jeu de construction et de déconstruction, un jeu infini. Le second est la découverte des technologies qui permettent la magie de l’animation des objets.
Dans ma pratique, Je est un Autre sera une nouvelle étape : amener la sculpture vers une dimension collective et un format audiovisuel.
Pour résumer, mon projet est de réaliser une série de sculptures qui seront utilisées par les enfants pour jouer. Leur jeux seront pris dans un cadre audiovisuel où il sera question de donner “l’expression” aux sculptures. Ce cadre comprendra la découverte de trois types d’animation : le stop-motion, donner une voix de synthèse ou naturelle à un objet, animer les sculpture face à la caméra (type marionnette).
Le projet se déroulera en quatre étapes.
La première étape est un atelier de création de sculpture. À partir de figurines et jouets de leur choix, je demanderai aux enfants de créer une figurine dans des matériaux simples avec mon aide technique. Les figurines seront à la même taille que les enfants, dans l'échelle de la sculpture. Dans cette étape créative, je veux stimuler leur estime de leur propre création. et montrer qu’on peut créer soi-même la valeur d’un objet. De plus je voudrais leur montrer qu’une sculpture peut évoluer, qu’elle n’est jamais terminée, qu’on peut la démonter et la remonter autrement. Leurs figurines seront des modèles pour les sculptures que je fabriquerais moi-même dans des matériaux plus solides. J’inviterais les enfants à considérer mes sculptures comme des figurines articulées.
La seconde étape du projet sera un atelier de stop-motion réalisé à partir de leur création. Le stop-motion est l’ancêtre du cinéma. Il permet de comprendre l’illusion à la base de toutes vidéos. C’est aussi la technique la plus adaptée pour donner le mouvement aux objets. Elle est cependant très laborieuse c’est pourquoi nous n’en resterons pas à cette seule technique.
La troisième étape sera un atelier où nous jouerons à donner la voix aux sculptures que j’aurai cette fois-ci réalisées. Nous utiliserons un dispositif audio et la voix de synthèse. Mon objectif est de travailler la dissociation de la voix et du corps : faire parler un autre à ma place. C’est une mise en abîme des télécommunications où notre voix circule au delà de notre corps.
Enfin un quatrième atelier sera dédié à la vidéo. Un dispositif imitera la webcam. Il permettra au enfants de faire bouger les sculptures sans être vus tout en maîtrisant l’image qu’ils produisent. Le dispositif participera au jeu car il est toujours amusant et fascinant de voir l’image qu’on produit. Il permettra aux enfants de comprendre le dispositif médiatique en général et d’avoir une expérience de liberté où ils le maîtrisent et jouent avec. Donner son image à un autre c’est une manière de s’identifier à un autre, de prendre de la distance avec sa propre identité.
La parole sera un aspect centrale du projet. Elle sera libre ou parfois écrite comme avec la voix de synthèse. La parole des enfants m'intéressent car elle est symptomatique de leur génération, de leur âge. Elle est un témoignage puissant d’une identité individuelle et collective. Les enfants joueront à communiquer en incarnant leur identité ou bien une autre. Ils joueront à se projeter dans une discussion au téléphone ou encore une interview. Le cadre de la télécommunication est choisi car il occupe aujourd'hui une grande part de la vie sociale avec les réseaux sociaux et les smartphones. Il sera un cadre familier où les enfants ont déjà l’habitude d’interagir.
Je souhaite me servir ensuite de ces enregistrements de voix et de vidéos pour une installation qui rassemblera le film où les sculptures sont animées et les sculptures elle-mêmes présentes qui parlent avec la parole des enfants.
Enfin au cours des ateliers je voudrais prendre en photo le jeu des enfants en dehors du dispositif pour documenter les gestes et les expressions des enfants lorsqu’ils jouent.
Ce projet est l’opportunité de développer une recherche qui au coeur de ma pratique et de mes interrogations : la relation de l’homme à l’objet comme véhicule de l’expression et par là accès à l’autre et à soi. C’est pourquoi j’ai appelé le projet Je est un Autre, vers de Rimbaud . L’Autre c’est la figurine, le jouet par lequel je m’exprime. C’est aussi l’objet technologique, qui distribue ma voix, me connecte à l’autre, conserve ma mémoire.
Les quatre ateliers que je propose sont des pistes de travail dans ma pratique de la sculpture. Elles s’inspirent d’artistes contemporains comme Mike Kelley, Gisèle Vienne, Maurice Maeterlinck ou encore Sarah Tritz qui a été ma professeur. Ce travail collectif sera l’occasion d’expérimenter en profondeur ces pistes et d’en découvrir de nouvelles. C’est la meilleure façon d’inaugurer ce projet et de le concrétiser. Je pose le cadre du jeu comme un filtre pour aborder l’art contemporain car c’est un terrain que les enfants maîtrisent et un principe essentiel de ma pratique.