Ratures, gribouillis, biffures, rayures, griffures, dessins de marge sont autant de termes pour désigner un tracé abstrait déposé sur un support. Derrière une rature se cache une énergie particulière, une liberté, une spontanéité du geste. La rature donne également un récit. Gestes volontaires ou involontaire, raturer n'est pas rater. À partir d'une collecte de ratures et de traces trouvées sur les surfaces dans l'enceinte de l'école et sur les cahiers de brouillons des écoliers, il s'agira dans ce projet de réinterpréter la rature sous une forme picturale dans le but de réaliser une peinture murale collective ainsi que de produire une édition aux allures de cahiers de ratures en incorporant différents récits.
Enfant, j’ai commencé à peindre en faisant des tâches de couleurs, désordonnées et abstraites. Si j’emploie ici le terme « abstrait », je ne connaissais bien évidement pas ce mot à l’époque. Je n’avais pas non plus connaissance de l’histoire de la peinture, de ses courants artistiques, de ses différents styles et des artistes qui la pratiquaient. Je me faisais une idée très vague de ce qu’était un tableau. La peinture se résumait alors à une action : celle de remplir un support à l’aide d’un pinceau. Je m’exerçais, ainsi, sans avoir la moindre idée de ce que je faisais et de ce que je voulais obtenir. J’avais très peu d’attentes concernant le résultat. Intuitivement, j’étalais la matière, une couleur, puis prenais une autre couleur, pour former une autre tâche, puis une autre et ainsi de suite. Mon seul souhait était de remplir le support de taches colorées. Rien de plus. J’éprouvais beaucoup de plaisir sans réellement savoir pourquoi. Rien n’était figuratif. J’étais content, chaque peinture n’était pas plus ou moins bien que l’autre, plus ou moins bien réussie. De cette période, il ne reste qu’une peinture sur papier encadré d’un sous-verre dans la chambre de ma mère. Les autres ont certainement dû disparaître, et je ne sais où. Et maintenant, je cherche encore. Je cherche pourquoi je m’intéresse à la trace, aux coups de pinceaux, aux marques laissées volontairement, ou non, sur un support. Une rayure sur la carrosserie d’une voiture. Une trace sur une vitre sale. Une traînée laissée dans la poussière. Une marque dans la terre ou bien le passage d’un avion dans les airs. C’est cette essence même de la peinture, ce retour aux origines en cherchant le primitif dans le geste qui m’intéresse. Mais alors, pourquoi peint-on ? Et comment ? Au musée, devant certaines peintures abstraites, j’entends régulièrement du coin de l’oreille : « Moi aussi, je peux le faire », ou bien « Tout le monde en est capable » et encore « Un enfant ferait pareil ». Je me souviens notamment de l’exposition de Cy Twombly au Centre Pompidou en 2017.
Dans le cadre de cette réflexion, je poursuis un travail « in progress », où je collecte des traces d’auteurs anonymes récoltés dans les magasins de fournitures Beaux-Arts. Ces ratures et ces traits brouillons sont déposés sur des feuilles qui sont mis à disposition pour que la clientèle essaie le matériel graphique. En prélevant ces dessins et en opérant une sélection, je me constitue une archive aux allures de cahiers de brouillon. Ces traces, ratures, et tests de crayons d’auteurs anonymes sont autant de traces abstraites sans volonté de résultat qui m’intéressent et sont source d’inspiration à mon travail de peinture.
À partir d'une présentation d'oeuvres plastiques et d'une recherche, collecte de ratures trouvées sur les surfaces à disposition dans l'enceinte de l'école mais également figurant sur les cahiers de brouillon, il s'agira d’intervenir auprès des élèves afin de réinterpréter la rature sous une forme picturale dans le but de générer des textes original sur la rature et dans le but de réaliser d'une peinture murale collective.
Ces ratures trouvées et prélevées seront le point de départ d’un travail / questionnement artistique sur la nature d'un trait. Il s'agira d'aborder différentes techniques pour écrire autrement, faire évoluer ses ratures en une production artistique. Un travail d'expérimentation à travers différents médiums et techniques sera effectué afin de trouver sa rature que chacun transposera à l'échelle du mur. Une attention sera apportée aux couleurs, à la gestuelle des tracés et à ses textures. La notion de la grille et du quadrillage bleu comme celle d'un cahier d'école sera également une piste de réflexion, un espace sur lequel les ratures pourront danser. Dans cette intervention, il s'agira de réinventer le geste pictural à partir de ratures et de traces prélevées. Des images diverses de références artistiques seront mises à disposition afin d'aider les élèves et serviront également à la compréhension du projet.
Le cadre de cette résidence de création me permettrais en parallèle de developper et de réactiver cette réflexion « en contexte » et d'associer les élèves à ce projet de création. Ce programme de recherche et de création sera l’occasion d’investir du temps dans ce projet et de le réaliser dans les meilleures conditions. Avoir le temps et les ressources financières nécessaires à son bon déroulement et à l’achat de matériel. En effet, j’aimerais introduire ce travail dans ma démarche picturale : réinterpréter et détourner ces formes de tracés « déjà là » pour les incorporer sur la toile et dans mon travail plastique en expérimentant de nouvelles techniques et en employant des nouveaux matériaux afin de produire des toiles grands formats et une édition regroupant un ensemble de traces et de ratures collectés qui prendrait la forme d’un « cahier de ratures ».
Ce projet souhaite rendre un hommage aux traces, aux griffures et aux ratures, aux salissures et aux taches, à ces trainées maladroites, involontaires, à la finesse des traits comme aux coups de pinceaux bien plus épais. Ici, il est question de la figuration du geste au travers de coups et d’actions donnés sur un support.