Le projet que nous voulons mener est une création théâtrale autour de « La Fée du Robinet », l’un des « Contes de la rue Broca » de Pierre Gripari. Il s’agit donc d’un travail de recherche et d’écriture, puis de mise en scène à destination d’un jeune public. L’idée est d’adapter pour la scène ce conte du monde moderne afin d’y faire résonner les problématiques de notre époque, en interrogeant la place de l’enfant dans notre société et en donnant à voir son regard sur les différents cadres sociaux qui structurent son quotidien (famille, école).
Que nous reste-t-il de ces histoires qui nous ont été contées lorsque nous étions enfants ? En quoi résonnent-elles avec notre société contemporaine ? Comment les représenter aujourd’hui sur un plateau de théâtre ? À l’origine de "La Fée du robinet" de Pierre Gripari, il y a le conte de Charles Perrault "Les Fées". Dans ce premier texte, qui comme tous les contes de Perrault est à visée morale et éducative, le personnage de la fée récompense la bonne jeune fille et punit la mauvaise. Cette intervention magique est alors un rééquilibrage, un rétablissement de la justice sur terre. Gripari, lui, supprime la possibilité de sauvetage : la fée est inexpérimentée. Elle punit non seulement la bonne, en récompensant par ailleurs la plus méchante des deux sœurs, mais sème aussi de fait le désordre dans la cellule familiale. C’est ce qui nous a séduits dans cette réécriture moderne, qui tourne en dérision la morale chrétienne de l’époque de Perrault et semble parler d’autant plus de notre monde contemporain et de ses paradoxes, en mettant en lumière les enjeux sociaux qui s’en détachent. Nous avons donc souhaité nous en inspirer très librement, de la même manière que Gripari s’est inspiré de Perrault, pour aborder la thématique de l’émancipation. Après une étape de travail durant laquelle un premier temps d’écriture a été amorcé, aboutissant à une maquette, nous souhaitons poursuivre la création de ce spectacle jeune public en incluant les enfants au processus de création, afin d’être au plus prêt de leur réalité. En effet, le spectacle se jouera autour de la vision subjective des personnages centraux de La Fée du robinet, deux adolescentes d’aujourd’hui, confrontées par accident à un destin croisé. De manière arbitraire et injuste, la jeune fille gâtée crachera des perles, ce qui lui vaudra un statut privilégié dans un premier temps puis la rendra victime de l’exploitation de ses parents et d’un homme, qui la séquestrera. L’enfant sage, pour son plus grand malheur et celui de ses parents, crachera des serpents mais épousera à la fin un médecin chercheur en sérums antivenimeux. En rencontrant la fée, les deux sœurs opèrent un parcours initiatique malgré elles, confrontées au fait de grandir dans une société construite sur des critères de réussite donnés. Ce sont ces archétypes du bonheur que nous souhaitons interroger dans cette réécriture, et particulièrement ceux qui touchent l’adolescence : en quoi déterminent-ils nos aspirations futures ? Dans quelles mesures pouvons-nous et devons-nous nous en affranchir ? Quelle place pour nos choix ? L’heureux hasard de la richesse fera le malheur de la première jeune fille, les serpents mèneront la seconde jeune fille à trouver l’amour, par concours de circonstances. Se pose alors la question du destin et du hasard, et de manière sous-jacente celle de l’émancipation de l’individu face à un certain déterminisme, notamment social. C’est aussi celle de l’émancipation de l’individu face à son environnement familial et à son éducation. Ainsi, les premiers personnages apparus dans le processus de création ont tout d’abord été les parents, qui ont constitué le point de départ du projet. Dans une volonté de creuser du côté de la cruauté présente chez Gripari, ils sont devenus une figure tout à fait effrayante. Ils constituent une entité, une hydre à deux tête, un couple infernal et dévorateur dont il devient nécessaire de se séparer. Les parents qui sont donc une vision subjective et cauchemardesque des deux adolescentes, nous permettent de parler de la cellule familiale et du besoin d’émancipation qu’elle peut créer. Le second point de départ de ce projet a été la figure de la fée. Nous avions envie qu’elle se situe sur le même plan que les deux jeunes filles, contrairement au conte de Perrault qui en fait une instance supérieure, un prolongement de la main de Dieu. Ici, les parents et la fée sont déficitaires, les deux héroïnes évoluent donc dans un monde en perte de repère, livrées à elles-mêmes. Nous souhaitons ainsi questionner les différents cadres sociaux qui structurent les rapports humains dans notre société occidentale, et surtout mettre en jeu la place de l’enfant ou de l’adolescent au sein de ces micro sociétés. Dans quelle mesure ces espaces définissent-ils l’individu, son devenir ? Il s’agit de nous intéresser principalement au cadre familial et au cadre scolaire, qui constituent l’environnement principal de l’enfant. Enfin, travailler sur un spectacle qui prend son origine dans le conte amène à imaginer une esthétique forte et travaillée. Concernant l’univers visuel, les créations de Bob Wilson ainsi que le film Edward aux mains d’argent de Tim Burton constituent pour le moment nos principales sources d’inspiration. De plus, les premières recherches d’écritures et la maquette nous ont fait entrevoir l’importance que le rythme pourra prendre. Nous chercherons le rythme de chaque personnage, la bande son jouera certainement un rôle important dans le processus de création. C’est pourquoi nous souhaitons mettre en jeu des situations de la Fée du robinet avec les enfants durant le processus d’écriture, notamment à travers des jeux d’improvisation. Certaines scènes seront alors en cours d’écriture, d’autres n’existeront pas encore. C’est l’occasion pour nous de faire participer une classe au processus de création. Ils retrouveront peut-être dans le rendu ultérieur des idées, actions, répliques qui ont été les leurs.
Loir-et-Cher
Par le(s) artiste(s)