«Les gestes, les mimiques, les postures, les déplacements expriment des émotions, accomplissent des actes, soulignent un propos ou le nuance, ils manifestent en permanence du sens pour soi et pour les autres.» David Le Breton dansles passions ordinaires.) L’inscription de nos corps dans un environnement, dans une société implique des règles de conduite et de tenue, des postures, des façons de faire. Cette sémiologie de l’individu, qu’elle soit consciente ou inconsciente, n’est rien d’autre qu’un langage que l’on peut venir interroger. En introduisant des éléments sculpturaux tantôt perturbateurs tantôt révélateurs, je tente d’explorer ce langage invisible puisqu’ordinaire. La sculpture se fait greffe, prothèse, tuteur et s’accole au corps afin d’en modifier le «bon fonctionnement. Elle vient perturber les règles d’un jeu établi en introduisant de nouveaux composants. J’aimerais questionner le corps par et avec la sculpture afin de révéler la matière sémantique de celui-ci.
Mon travail est fortement influencé par mes études antérieures, autrement dit les questions qui m’ont poussées à entreprendre des études en sciences-sociales ont désormais trouvé un champ fertile d’exploration dans celui de l’art.
Je me suis toujours interrogée sur le fondement de nos agissements, comment sont régis nos interactions avec notre environnement mais aussi entre nous, comment nous prenons une place dans ce monde, comment nous l’approprions nous, comment nous faisons en sorte que ce monde devienne « le » nôtre. Ces questions qui sont celles de la microsociologie résonnent en termes d’espaces mais aussi d’objets. C’est pourquoi j’ai trouvé dans la sculpture les outils nécessaires à ma recherche. Je considère la sculpture comme une façon de mettre en évidence ces rouages invisibles. En greffant une sculpture qui n’est rien d’autre qu’un objet « hors norme » au corps ou en installant celle-ci dans un environnement bien défini, j’espère perturber l’homéostasie existante.
Jacques Tati, à travers Mr Hulot (que ce soit dans sans Playtime ou dans Mon oncle) nous dresse un personnage de prime abord bien maladroit mais qui au final ne fera que révéler l’incongruité de notre monde, les absurdités d’un système existant. Il n’y a pas de dimension moralisatrice dans mon travail, il y a je l’espère une teinte absurde emprunt justement de l’univers de Jacques Tati et de Samuel Beckett entre autre.
Mes recherches tournent essentiellement autour du corps, de son inscription et de ses dimensions sociales, articulant ce questionnement à des préoccupations sculpturales fortes.
La plupart du temps mes sculptures sont soit à destination de quelqu’un, d’un éventuel « usager/utilisateur », soit destinées à être manipulées par tout à chacun ou encore s’inscrivent dans un projet transdisciplinaire. Les personnes les utilisant vont développer leurs propres gestuels, découvrir des nouveaux « usages » propre à eux, ce glissement d’une personne à une autre (sculpteur/ public), d’une discipline à une autre (sculpteur / danseur) est un enjeu essentiel puisqu’il emmène le travail ailleurs et initie un véritable dialogue.
D’un point de vue formel et plastique, mes sculptures oscillent entre sculptures solides, dures, essentiellement en bois et sculptures molles en tissus et cotons. Ces propriétés matérielles m’aident à explorer de façon différente et voir antinomique les mêmes questions.
J’ai été fortement intéressée par cet appel à candidature parce qu’il impliquait la mise en place d’atelier avec des enfants. J’aimerais travailler avec eux en leurs proposant de participer à l’élaboration de trois projets :
Le projet global s’intitule : « les communicants »
Il se divise en trois « sous-projets » : « les parasites » / « prêt-à-porter»/ « ça reste entre nous »
« Les parasites » :
Au-delà des petits bêtes ou des organismes, les parasites est un projet qui fait référence aux interférences et perturbations rencontrées lors d’un signal émis ou reçu.
Il s’agirait d’un corpus de petites sculptures, en quantité égale au nombre d’élèves participants afin que chacun ait une sculpture.
Elles seront en bois, de formes épurées, destinées à être manipulées, l’enjeu consistera à trouver un emplacement sur le corps où la sculpture pourra venir se loger, même si cet emplacement doit mettre à mal la posture, ou le confort d’une façon temporaire. Elles permettront de générer des gestes et des actions, ça sera à l’enfant de choisir comment son parasite va venir se greffer à son corps et ce que celui-ci va venir modifier.
Après une utilisation commune et ludique des parasites, il sera question de prendre en photo chaque enfant avec son parasite afin de faire une édition et potentiellement des tirages photographiques.
Les enjeux ici sont de l’ordre de la participation, de l’appropriation, mise en scène, réflexion sur le corps.
« Prêt-à-porter »
À partir d’une base qui est la même pour tous, chaque élève doit modifier une tenue vestimentaire qui transformera sa posture quand celui-ci la portera.
Les enfants se verront remettre un vêtement (à définir) probablement un jogging en coton- bas+haut- tous identiques, de couleur unie, seules les tailles changeront pour s’adapter à celui qui le portera. L’enfant à partir de cette base devra imaginer une modification à faire sur ce pantalon et/ou ce t-shirt qui devra venir perturber la façon de le porter.
Exemple, qu’est-ce se passe-t-il si l’on réunit les deux manches en une seule et grande manche ?
Une fois imaginé, je réaliserais les modifications pensées par les enfants, ces vêtements sculptures seront portés afin de faire un portrait sculptural
Une édition sera créée à la fin de ce projet.
Les enjeux ici, sont de l’ordre de la conception, de l’appropriation, mise en scène, réflexion sur le corps, la posture.
« Ça reste entre nous »
Cette fois-ci les enfants imaginent et fabriquent eux-mêmes leurs sculptures.
Par binôme, ils devront imaginer une sculpture qui les relie entre eux, elle devra être utilisée à deux. Ils devront concevoir une sculpture qui met en jeu leurs deux corps en même temps.
Pour ce faire il y aura une étape de réflexion, avec des maquettes, une fois le projet viable les sculptures seront réalisées en papier mâché. Elles seront activées par le binôme et des photographies seront prises de chaque œuvre afin de constituer une troisième édition.
Ces trois projets impliquent les enfants dans des degrés de participations différents.
Dans « Les parasites », ils manipulent et s’approprient la sculpture.
Dans « Prêt-à-porter », ils conçoivent et imaginent la sculpture afin de l’utiliser, mais ne la fabriquent pas encore.
Dans « ça reste entre nous » ils conçoivent, réalisent, fabriquent et utilisent la sculpture.
Ces trois projets comprennent différentes matérialités de la sculpture : dur avec le bois, molle avec le tissu, intermédiaire avec le papier mâché
Mon travail personnel quant à lui va plus précisément s’articuler sur la réalisation d’une pièce nommée également « les communicants » qui consiste en l’élaboration de plusieurs sculptures costumes. Lorsqu’elles sont portées elles mettent le corps dans des postures inhabituelles, des postures sculpturales et réfèrent indirectement aux interactions sociales. Ces sculptures vestimentaires seront agrémentées, de sculptures accessoires, celles-ci feront office d’objets à manipuler. Cette pièce, très proche du théâtre puisqu’elle s’en accapare les codes scénographiques (accessoire/costume), sera destinée à être activée par une danseuse ou un comédien.
J’ai conçu le travail à réaliser avec les enfants, pour qu’il soit similaire et concordant avec mes recherches afin que les deux puissent se nourrir mutuellement.
Par le(s) artiste(s)