Machine à habiter est un projet initié il y a 2 ans. C’est le terme employé par Le Corbusier pour désigner ses immeubles d’habitat. En 1965, la cité des Bosquets est construite à Montfermeil. Symbole d’une époque, cette « machine à habiter » sera détruite en 1994. Ces constructions sont des monuments urbains porteurs de sens commun et d’histoires personnelles. En leur rendant hommage ce projet tente de saisir comment nos imaginaires sont influencés par nos territoires. Après une série d’architectures en kit, référence aux objets souvenirs touristiques, le projet évolue vers la réalisation d’un livre sonore animé. Éléments graphiques, mécaniques et capteurs dissimulés viendront proposer une immersion d’où s’échappent des témoignages sonores. Avec les élèves, ce processus serait ré-envisagé en regard de leur territoire et de leurs imaginaires. Ils réaliseront une édition spéciale, voyage visuel et sonore dans les visions et projections inspirées par les architectures qui les entourent.
Naissance du projet
Machine à habiter est un projet que j’ai initié en 2018. Il a démarré pour le lancement d’une jeune maison d’édition à l’Ep7, un restaurant équipé d’une façade de LED grâce à laquelle il propose une programmation culturelle. Cet espace fait partie des nouveaux lieux construits dans le cadre du plan de réaménagement du 13ème arrondissement, qui vise une revalorisation du quartier Bibliothèque François Mitterrand par la promotion d’une large offre culturelle. J’ai alors eu envie de répondre à cette invitation en questionnant les mutations urbaines de ce quartier, tout en m'intéressant à des plans d’aménagement plus anciens. Je suis revenue sur l’histoire de la construction des grands ensembles en Seine-Saint-Denis, le département où je suis née et où je réside. À travers ce projet, je souhaite rendre hommage à des architectures représentatives de l’histoire de l’urbanisme en Île-de-France et conserver une trace des initiatives rendues possibles par ces architectures et du vécu des personnes les ayant habitées. C’est ainsi que Machine à habiter est devenu une recherche-création sur laquelle je travaille encore aujourd’hui.
Jusqu'à maintenant, ma recherche s’est portée sur trois architectures de la Seine-Saint-Denis et de Paris – la barre Balzac de la cité des 4000 à la Courneuve, la barre n°2 de la cité des Bosquets à Montfermeil ainsi que l’ancienne maison du directeur de l’usine d’air comprimé SUDAC du 13ème arrondissement, devenue le squat du 13 avant d’être transformée en maison des projets de la SEMAPA qui est la Société d’Économie Mixte d'Aménagement de Paris. Autrement dit, c’est l’organisme qui est chargé de l’aménagement urbain du 13ème arrondissement de Paris.
Démarche / Processus de recherche
En mettant en dialogue des récits historiques, des archives, des articles de journaux ainsi que les témoignages de personnes ayant vécu ces architectures je me suis rendue compte à quel point ces architectures ont participé à façonner l’identité de ceux qui les ont connues et de leur territoire. Elles ont marqué les mémoires jusqu’à devenir les symboles d’une époque. En ce sens, il me semble qu’elles sont comparables à des monuments.
C’est pourquoi la première étape de Machine à habiter a été de réaliser des kits d’architectures à construire soi-même inspirés des kits que l’on peut trouver dans les boutiques souvenirs de lieux touristiques. C’est en résidence l’année suivante à l’Espace Jean-Roger Caussimon que j’ai pu finaliser cette étape qui a nécessité :
- une recherche documentaire (histoire, articles depuis 1994, ressources audiovisuelles).
- collecter images et plans pour concevoir les architectures en 3D qui ont permis le patronage des kits .
- retrouver des personnes qui ont connu ces architectures, les rencontrer pour recueillir leurs témoignages.
- rechercher les matériaux adéquats pour la conception et la fabrication des maquettes en kits
- créer le « packaging » des kits.
- créer les notices de montage.
Un nouvel élan
Au sein du programme Création en cours, je souhaiterais initier la nouvelle étape de ce projet.
Elle va consister à développer une production plastique qui permettra de partager l’histoire de ces architectures dont il ne reste que des vestiges. Si parfois, les architectures ont été restaurées (comme la maison du 13ème arrondissement) c’est l’histoire des actions qui s’y sont déroulées, des moments qui y ont été vécus qui disparaît. Pourtant, il semble essentiel que les différentes strates de récits qui composent l’histoire de ces lieux soient représentées. Ainsi, cette mémoire aux multiples facettes proposerait un contrepoint de certaines visions stéréotypées des périphéries urbaines. En témoignant du vécu et des sensibilités de chacun, la sauvegarde de cette mémoire populaire nous permettrait d’élargir nos points de vue, pour tenter de mieux saisir les problématiques territoriales de notre époque .
Livre, voyage graphique et sonore
Pour cela, je souhaiterais créer un livre animé sonore. C’est l’histoire de ces ouvrages qui m’a donné envie de formaliser ainsi ces recherches. Ces livres animés sont développés depuis le 13ème siècle, pour faciliter l’apprentissage par un voyage interactif dans l’infiniment loin ou dans ce qui est difficilement visible comme l’intérieur d’un organisme. En somme, ces livres à vocation pédagogique nous aidaient à mieux nous situer et comprendre le monde qui nous entoure.
Ici, se seront les détails des architectures, les écorchés d’immeubles animés, témoignages audio et synthèses de données historiques et journalistiques qui proposeront un voyage temporel, graphique et sonore dans l’histoire de ces trois architectures et dans leurs aspects les moins visibles. De plus, le livre est un objet commun, sensible, un espace en lui-même. C’est un objet que l’on tient proche du corps, avec lequel on a une relation intime à son contenu.
Dimension sonore, moyen sensible de la transmission de la mémoire
Lors de mes premiers essais, je me suis rendue compte que la retranscription en texte des témoignages oraux leur faisait perdre une partie de leur sensibilité. C’est l’envie de partager un récit oral, forme ancestrale de la transmission de la mémoire qui m'a poussée à réaliser des livres sonores. La vibration de la voix, l’émotion qu’elle dégage, apporte une autre dimension à ces récits. Je me suis alors demandée comment conserver cette sensibilité qui passe le timbre de la voix.
Les possibilités offertes par l’électronique s’inscrivent dans la continuité directe des traditions de fabrication du livre animé. Elles permettent au livre d’être augmenté sans nécessiter de recourir à d’autres interfaces (comme c’est le cas des livres en réalité augmentée qui nécessitent l’usage d’un smartphone ou d’une tablette).
La transmission au cœur de ma démarche
Depuis plusieurs années, je partage régulièrement les techniques et les réflexions liées à ma pratique artistique lors d’ateliers destinés à tous les publics, lors d’interventions en milieu scolaire. Que ce soit pour transmettre les techniques des arts du papier, de l’électronique ou lors de l'accompagnement à l’utilisation d’outils disponibles en fablab, je tente de partager en premier lieu les valeurs chères à l’éducation populaire. À mon sens, l’art est avant un tout terrain qui facilite le partage de sensibilités, d’idées, de paroles, de savoir-faire. En plus d’être un moyen d’expression qui passe par le geste, les pratiques artistiques jouent en faveur de l’émancipation. Dans le cadre scolaire, cela permet d’envisager l’apprentissage sous un angle ludique qui favorise le décloisonnement des disciplines par une approche transversale. Pour étendre ces actions, je travaille actuellement à la création d’installations immersives avec des jeunes autistes non langagiers et j’anime des cycles de formation Art, technologie et pédagogie auprès de professionnels de l’enseignement et de la culture.
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