Ce projet autour de l'œuvre de Peter Handke, Par les villages, émane de la nécessité de retourner à nos origines, à nos proches, ainsi qu'à celles et ceux que nous ne connaissons pas encore. Que deviennent nos villages une fois qu’on les quitte ? Que deviennent les habitants qui y restent ? Ce projet a pour ambition de donner la parole à ceux qui restent silencieux. Nous avons la conviction qu’une parole prise ne se perd plus jamais. Alors donnons la parole aux enfants. Le travail de transmission aux élèves prendra la forme d’une participation au spectacle, notamment par le biais d’un chœur, celui qui clôturera la mise en scène. La volonté est de dépasser la simple forme artistique et de créer un véritable lien avec les habitants et acteurs locaux d’un territoire prioritaire, en banlieue parisienne. Notre projet porte sur le désir d’être dans “nos villages”, là où la présence de la culture n’est pas une évidence, là où les difficultés économiques et sociales obligent à d’autres priorités.
Ce projet parle du retour, de l’origine, de l’enfance.
Il découle de la sensation que je perçois quand je rentre chez moi, dans mon quartier, en banlieue parisienne. Sentiment de gêne, d’abandon, de trahison. Pourtant, je n’ai jamais abandonné, ni trahi personne, encore moins mes proches. J’ai conservé les principes et les valeurs inculqués ici, là-bas, entre ces bâtiments. Cette sensation vient d’ailleurs, sûrement du fait d’avoir quitté mon environnement de tours grises en béton pour une autre architecture, celle des plateaux de théâtre. Mon univers quotidien est à présent aux antipodes de celui de mon enfance, et surement ce retour est à chaque fois douloureux à cause de - ou grâce à - cela. Cette nécessité de trouver des réponses m'amène à développer un travail de recherche et de création autour de la pièce de théâtre Par les villages de Peter Handke.
Par les village se construit autour des retrouvailles de deux frères et d’une sœur, qui héritent de la maison familiale. L’aîné, Gregor, a quitté son village natal depuis longtemps. Il est désormais devenu un écrivain établi en ville. Hans, ouvrier, et Sophie, vendeuse, sont quant à eux restés ici et mènent une vie beaucoup plus modeste.
Le retour de Gregor a été le point de départ de ma démarche artistique. Pourquoi nos retours sont-ils si douloureux ? Que deviennent nos villages ?
Trajectoires et conditions sociales opposées, désirs d’émancipation, retour aux sources, relations familiales, cette pièce brasse tout. Elle donne la parole à ceux qui ne parlent jamais, aux petits gens, ceux qui ne sont ni rois, ni chevaliers, mais vendeuses ou ouvriers. Le théâtre parle trop souvent des puissants et des bourgeois. Je veux, grâce à cette pièce, explorer d’autres zones de la société. Parler des autres, de là d’où je viens.
Peter Handke parle de misère sans jamais être misérabiliste. Il connaît ce monde, il en vient. Il décrit le monde ouvrier en utilisant une langue, un imaginaire, une parole loin du théâtre militant. Il redonne une dignité, une humanité perdue à ces personnages transformés en véritables “héros ordinaires”. Ce texte écrit en 1981 fait partie des plus beaux textes du siècle dernier. Sa langue poétique élève l’ouvrier et lui redonne toute sa légitimité. Pour Handke, la force de la poésie rend les hommes égaux, toute personne est poète et tous les personnages - depuis la concierge jusqu’à l’écrivain célèbre, en passant par les ouvriers - évoluent sur un plan d’égalité. Ce texte c’est la foi en la vie, en l’art, en l’amour, en l’autre.
Le travail de recherche et de création s’articule autour de la figure de l’enfant. Peter Handke travaille sur le passage de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à l'âge adulte. Il termine volontairement ce texte par la trouée solaire portée par Nova, emplie d’espoir et de lumière. Et à ses côtés se trouve l’enfant, debout, silencieux.
Pourquoi l’enfant se tait-il ?
L’enfant est celui qui sera le continuateur de l’histoire familiale et sur lequel chacun s’interroge. Il incarnera l’avenir du village, futur ouvrier, vendeur ou écrivain.
Dans Des journées entières dans les arbres, Marguerite Duras écrit : “il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours…”
Ma nécessité artistique, avant même ce projet, est de donner la parole à ceux qui ne parlent jamais. Je suis convaincu qu’une fois la parole prise, on ne la lâche plus. Alors, donnons la parole aux enfants, qu’ils ne la lâchent plus. Le travail de recherche et de création sera orienté sur les mots que mettent ces enfants sur leur avenir. Ce temps de recherche me permettra d’aborder d’autres thématiques de la pièce, telles que le rapport à leurs environnements, à la famille, à l’art, à l’autre.
La question de mettre l’enfant au cœur du processus de création me passionne. Je suis convaincu de la capacité des élèves, dès le plus jeune âge, à comprendre les moteurs de création artistique, autant qu’à aborder une œuvre de qualité, empreinte de poésie, qui reste facilement accessible grâce à son écriture et sa fable très concrètes. La découverte de l’art peut se faire par l'exigence, elle peut être abordée par l'initiation aux grands textes afin de permettre à tous les publics de penser leurs mondes et leurs conditions.
L'importance sera le dispositif par lequel l’enfant pourra s’épanouir et s’approprier le projet, son projet. Les élèves ont autant à apporter à l'artiste que l’artiste lui-même aux enfants. Pour cela j’aimerais aborder le travail par étapes : commencer par l'initiation et la découverte du théâtre autour du jeu, de l’improvisation et du corps ; aborder par la suite le travail autour de la pièce et en isoler une thématique que nous aurons choisie collectivement, afin de pouvoir écrire, imaginer et rêver tous ensemble autour de celle-ci ; puis, poursuivre la transmission par l'interprétation de situations que vivent certains personnages de la pièce ; et pour finir, engager une recherche autour de la création d’un chœur d’enfant pour le monologue de Nova, ce cri d’espoir qui clôt la pièce.
Les élèves auront également l’occasion de découvrir le travail par la vidéo, partie intégrante du spectacle, ainsi que la photo et l’enregistrement de matière sonore. À la fin du travail de transmission, grâce à nos recherches, les enfants deviendront l’Enfant de la pièce, et donc, les créateurs et interprètes d’une des scènes du projet. La transmission aux enfants prendra ainsi la forme d’une intégration au spectacle. À plusieurs moments, ils prendront la parole pour s’en emparer définitivement à la fin. La pièce se clôturera par ce chœur d’enfants et ce message d’espoir. Ils seront le chœur de fin. Bien évidemment, conscient des difficultés de terrain, ces différentes étapes de recherche, de création et de transmission, seront menées en partenariat étroit et constructif avec la communauté scolaire et les familles des enfants.
Mon désir est de travailler sur un territoire prioritaire en banlieue parisienne où la présence de la culture n’est pas une évidence, où les difficultés économiques et sociales obligent à d’autres priorités. Je veux aller dans ces quartiers dits sensibles, ces quartiers d’où je viens. Le travail de recherche et de création sera parallèlement alimenté par les échanges, autour de l’école, entre les comédiennes et comédiens du projet et les habitants du territoire, acteurs locaux et associations afin de créer “un village”, notre village. Nous interrogerons alors le désir de retrouver celles et ceux que nous ne connaissons pas encore, fil conducteur de la mise en scène qui pourra se jouer partout, dans un dispositif léger. Un théâtre pauvre, dans tout ce que ce mot porte de noblesse.