Le projet de création des "Rétro-projections" s'intéresse aux différentes manières de projeter une image sur une surface grâce à un dispositif lumineux mécanique, et aux potentiels narratifs d'une telle installation. L'objet "projecteur" est un sujet en lui-même: comment fonctionne un rétro-projecteur? Ou bien un projecteur à diapositives? Ou même une Caméra Oscura? Ensuite, il s'agit de questionner l'image à projeter. Comment projeter des formes en mouvement? des volumes? peut-on créer des illusions d'optiques, des théâtres d'ombres? Mille et une possibilités se dessinent, avec un fil conducteur: celui des jeux de couleur et de transparence. Dès lors qu'il est possible de projeter de la couleur sur n'importe quelle surface, il est donc possible de "peindre sans matière", ou plutôt de "peindre avec la lumière", et de colorer ainsi tout ce qui nous entoure sans y toucher... Cécile proposera un ensemble de dispositifs de projection inédits, et travaillera à créer des
Dans les années 1960, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, une forme d’ art léger appelée « Liquid Light Shows » (spectacles de lumière liquide) apparaît dans les milieux de la musique électronique et des représentations théâtrales d'avant-garde. Ces « performances lumineuses » consistaient en la projection d’images « d’objets » pendant les concerts à l’aide de rétro-projecteurs. Elles ont ensuite été adaptées pour des performances de rock ou de musique psychédélique, puis d’art contemporain. Les installations impliquaient l’utilisation de diapositives plus ou moins retouchées, de feuilles de papier transparent fixées sur des ventilateurs en mouvement, de poches de liquide coloré manipulées en direct par des opérateurs, etc. L’objectif étant, chaque fois, de créer une « tapisserie » d’éléments visuels amplifiés par la projection et détournés de leur usage initial. Les effets plus ou moins « psychédéliques » obtenus venaient en support visuel de la musique jouée.
Au départ, c’est par une affinité personnelle pour cette culture musicale que je suis entrée dans le sujet. Je m’y intéresse désormais en tant que designer, car j’entrevois dans ces techniques une potentialité narrative particulièrement inspirante, et une facilité de mise en oeuvre propice à l’expérimentation.
1-FABRICATION (LA TECHNIQUE)
Dans un premier temps, le projet consiste en la conception et la fabrication de dispositifs de projection « maison ». Comment fabriquer un « rétroprojecteur » soi-même (et non un « vidéo-projecteur », qui est la version moderne numérique du rétroprojecteur!) ? Peut-on lui donner une autre taille, un autre format que les projecteurs « classiques » qui ont longtemps été utilisés en classe? Peut-on imaginer projeter une ligne ou un cercle de lumière, et non un rectangle de lumière? Peut-on imaginer un rétroprojecteur à bougie, qui marcherait sans électricité? Un rétro-projecteur « nomade », que l’on peut mettre dans son sac à dos? Enfin, peut-on le fabriquer avec des matériaux et des assemblages simples et accessibles? Voici un véritable défi de design, amusant et très instructif. Mon rôle de designer est de proposer un ou plusieurs modèle de rétroprojecteur « en kit », que les enfants pourraient s’approprier et fabriquer eux-même lors d’ateliers dédiés.
2-COMPOSITION (LA MATIERE)
Dans un second temps, il s’agira de jouer avec la lumière, en partant à la recherche de matériaux transparents, colorés ou texturés, qui permettront des jeux graphiques lors de la projection. Feuilles, petits objets, vaisselle, tout ce à travers quoi la lumière peut passer deviendra source d’expérimentation plastique et graphique. Ce sera l’occasion de commencer à « composer » la lumière comme s’il s’agissait de tâches de peinture, et qu’il fallait peindre un tableau immatériel. C’est ce jeu sur la subtilité d’un effet intangible mais bien visible qui m’intéresse, car dès lors qu’on éteint la source lumineuse, l’effet disparaît. Les surfaces sur lesquelles on projetaient, et qui par l’effet de la lumière se trouvaient « animées, » se retrouvent à nouveau « inanimées ». Mon travail de designer sera d’apporter des systèmes et des astuces plastiques tirées de mon expérience et de l’histoire de l’art. Il sera aussi d’orienter les expérimentations des enfants en proposant des motifs, supports et matières particulièrement intéressantes sur un plan graphique.
3-INSTALLATION (LA NARRATION)
Enfin, à partir des découvertes plastiques des élèves et de mes expérimentations, je travaillerai à l’élaboration d’une installation de lumière projetée. Avec les enfants, nous travailleront à l’écriture d’une « histoire visuelle », c’est à dire d’une composition animée qui se tiendra dans la zone définie pour l’installation. Cet aspect narratif est important: il permet de construire un récit, figuratif ou abstrait, à partir des techniques et des matières mises en oeuvres. Il s’agira véritablement de « faire parler la lumière » en lui ajoutant une dimension discursive.
Ce projet s’inscrit dans une démarche personnelle de longue date. D’abord, je m’attache à proposer des projets où le public associé tient une part véritablement active. J’ai travaillé avec des élèves de primaire, lors de TAPS autour des techniques de construction du métro parisien, avec des élèves de collège lors de workshops de design (avec l’association Design&Diversité), avec des résidents de foyers du SAMU Social et par la suite, avec de nombreux agents de la fonction publique lors de mes missions d’innovation publique. Chaque fois, j’ai fais le choix d’une approche de co-construction très affirmée, et très à l’écoute de ces différents interlocuteurs. Très loin d’un rôle « d’animation », mon rôle de designer est celui d’une direction artistique forte et accessible. De la problématisation du projet à mener jusqu’à sa mise en oeuvre, j’aime partager ma méthode de travail. Ensuite, je fais la part belle à l’expérimentation. Passionnée de technique et d’objets industriels, je prends plaisir à les détourner de leur usage premier, à les retravailler ou à les augmenter en leur inventant de nouveaux usages. Ainsi, lors d’un workshop avec les élèves d’un collège de Villiers-Le-Bel, j’ai proposé un travail autour de la technique de sérigraphie, et du détournement facétieux de son usage industriel pour l’utiliser à des fins de… contrefaçon. De même, pour un atelier avec des résidents du Samu Social, j’ai proposé que les résidents composent des « camouflages colorés » très inspirées du travail de Viallat, pour imaginer un jeu visuel autour de la documentation orientée « prévention et risques liés a l’alcoolémie » qui est mise à disposition dans le centre, et ce de façon un peu trop évidente aux yeux des résidents.
Ce qui m’intéresse, c’est le processus de design lui-même. C’est à dire de partir d’une technique et de matériaux donnés, impliquant donc des contraintes matérielles, et d’essayer de produire à partir de ces contraintes un résultat beau, poétique, et qui nous raconte quelque chose. C’est par le travail de la composition plastique, par l’assemblage et le détournement que ce résultat peut arriver.