Rêver la ville se veut comme un temps de réflexion et d'appropriation, menant à la revisite réelle et fictionnelle d'un espace. Dans le cadre de la résidence Création en cours, notre collectif a pour projet de développer un travail contextuel prenant racine dans les environs de l'école sélectionnée. Se basant sur une déambulation et utilisant la photographie, le dessin, l'écriture et la performance, nous voulons développer avec les élèves des récits contextualisés dans l'espace sélectionné. Ces histoires, en référence directe au lieu qui leur donnera vie, seront restituées en deux temps bien distincts. Un premier sous la forme d'une édition retraçant toutes les étapes de travail et donnant à voir les rouages du processus de création. Et un second sous la forme d'une déambulation performée et d'une exposition temporaire dans le lieu sélectionné. Tout au long de ce processus notre pratique et celle des enfants se côtoieront, passant par les mêmes étapes, et pourront se répondre.
"Maintenant, je tiens à prouver l’irréversibilité de l’éternité à l’aide d’une expérience insipide démontrant l’entropie. Visualisez mentalement un bac à sable, divisé en deux moitiés, l’une contenant du sable noir, et l’autre contenant du sable blanc. Imaginons un enfant, et faisons-le courir des centaines de fois dans le sens des aiguilles d’une montre à l’intérieur du bac à sable, jusqu’à ce que les sables se soient mélangées et commencent à devenir gris. Alors, faisons courir l’enfant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, mais le résultat ne sera pas le rétablissement de la division initiale des sables, mais un plus haut degré de gris, et une augmentation de l’entropie." Cet extrait provenant du texte "Les Monuments de Passaic" écrit par Robert Smithson en 1967 est représentatif de la notion d'entropie que nous développons dans notre travail. En partant du constat que le temps et la nature créent une forme de désordre sur les constructions faites par l'homme et les amènent à l'état de ruine, notre regard se pose sur des espaces à la frontière entre la ville et la campagne où règne une forme de confusion. Nous nous posons la question de comment réinvestir plastiquement ces espaces et comment en dégager un questionnement. En croisant Histoire et histoires, notre pratique tente de reconquérir ces territoires laissés-pour-compte et repose donc en grande partie sur les lieux que nous rencontrons. Paysage, architecture, notre travail a pour but de mettre en lumière un trait particulier d'un territoire avec pour finalité de générer une réflexion. Notre premier projet significatif a été mené dans d'anciennes tanneries de cuir, aujourd'hui en friche et situées en périphérie de Rennes. Prenant comme sujet une plante rudérale, le géranium robertianum ou herbe à Robert, ce court-métrage décrit le rapport presque tautologique qu'entretiennent cette plante et son écosystème. Jusqu'au 18e siècle, l'herbe à Robert a été utilisée pour le tannage du cuir pour la forte teneur en tanin de sa tige. Passé cette période, son utilisation disparaît au profit du chrome. Les sols de cette ancienne tannerie sont donc aujourd'hui très largement pollués par le chrome. Mais certaines plantes arrivent quand même à se développer, notamment l'herbe à Robert qui se nourrit des résidus de chrome et permet ainsi une dépollution du sol. Partant d'un constat, ce projet va donc charger une plante rudérale d'un sens, retraçant l'histoire même du tannage des cuirs, de leur méthode traditionnelle à la révolution industrielle, ainsi que son impact sur l'environnement. Le projet artistique devient donc ici vecteur de savoir, en donnant à voir d'un œil nouveau cette plante. Plus récemment, nous avons eu l'occasion de travailler pendant une semaine sur l'île de Gran Canaria, île de l'archipel des Canaries, au large du Maroc. Pendant cette période, nous nous sommes concentrés sur l'architecture touristique de l'île et en avons tiré une installation jouant sur le temps et le rapport à l'environnement. Ayant commencé par une déambulation, cette installation se compose autour d'objets, d'images, de vidéos, glanés dans et autour de ces installations, parfois habitées, parfois en ruine. Ces traces, à la fois pièces à conviction et supports de rêveries, sont devenus le centre et le point de départ de nos recherches. Dans ce projet, la fiction prend une part plus importante et donc laisse au public la liberté de s'inventer sa propre histoire. Dans ces deux projets, on retrouve donc un rapport direct entre territoire et création. Proche d'un protocole de travail, c'est de cette manière que nous concevons "Rêver le paysage". Par le biais de déambulations et de rencontres, aussi bien humaines, naturelles, qu'architecturales, nous voulons nous construire un champ de réflexion propice à la création. Le format et la temporalité de Création en cours, nous ont poussé à repenser nos méthodes de restitution. Comme vous l'avez lu, Géranium Robertianum et Gran Canaria ont été pensés pour se conclure par des œuvres à part entière, sans traces d'étapes ou de recherches apparentes. Pour cette résidence, nous projetons donc de modifier notre manière de restituer notre travail en mettant en avant ces étapes et en les donnant à voir. Notre résidence sera donc pensée en deux moments forts à la temporalité complètement différente. Dans un premier temps, nous voulons réaliser une édition qui nous accompagnera dans toutes les étapes de travail, donnant à voir croquis, photographies, textes, enregistrements et de manière générale toute la matière qui aura servie à notre protocole de création. Dans un deuxième temps, nous voulons, de façon in-situ, organiser une visite performée du lieu ayant été support de notre réflexion. Ce temps de performance sera à voir comme un contre poids du processus de recherche ; d'un coté un objet pour durer (l'édition) retraçant un protocole, et de l'autre un, une parole (la visite performée) pour donner vie à cet ensemble. Ce rapport entre recherche et restitution garantie la lisibilité du projet et permettra aux enfants de voir un processus dans son ensemble. Pour ce qui est du projet des élèves, nous tenons à placer tout le monde dans la même posture. Bien que dirigé par nous, les enfants auront, par petits groupes, les mêmes devoirs et les mêmes libertés que nous. Suivant tous le même protocole, les enfants auront donc à réaliser une édition réunissant leurs étapes de travail et finiront par une visite performée. Pour des questions de facilité et de fédération de toutes les productions, nous voulons faire recourir les élèves à la fiction, leur laissant ainsi beaucoup plus de possibilités créatives et leur évitant ainsi le travail de recherche théorique. Notre projet et les leurs prendrons donc comme sujet le même lieu, le même territoire, mais en le traitant de deux manières se répondant, réalité et fiction. Rêver le paysage se veut donc comme un temps de réflexion et d'appropriation, permettant la revisite réelle et fictionnelle d'un espace.
Ille-et-Vilaine
Par le(s) artiste(s)
Par les participants